Roger Kempf : Notamment

 
par Hervé Laurent

Le dernier1 livre de Roger Kempf regroupe des textes dont la plupart reviennent sur ses objets d’étude privilégiés : le dandysme et Baudelaire, Flaubert, Diderot, le corps romanesque2. Notamment résonne de l’actualité d’une recherche toujours en devenir, ce qui l’apparente plus à un legs qu’à un testament. Le recueil s’ouvre sur une série d’articles consacrés à Diderot, l’écrivain philosophe qui n’a pas cessé d’être traité de haut, incompris et corrigé par une critique universitaire (de Diekmann à Lévi-Strauss) dont Roger Kempf se plaît à souligner, avec une rage froide et une clairvoyance implacable, la ridicule (in)suffisance. Son Diderot sans masque dresse, au contraire, la figure emblématique d’une pensée non formatée, traversée par le souffle du génie qui la situe définitivement hors normes et la voue à un métissage fécond, là, justement, où les « spécialistes » la jugent coupable d’éparpillement. S’appuyant sur le monumental (et inégalé) travail d’édition (et d’érudition) dû à Roger Lewinter3, Roger Kempf se délecte de l’agilité d’une réflexion qui enjambe les découpages génériques, comme en témoignent ces Bijoux indiscrets dont le libertinage véritable réside plutôt dans l’emploi fait par Diderot de la théorie probabiliste que dans la pornographie à peine voilée de son argument. Le volume se clôt sur trois études où il est question du corps des écrivains : désirant et empêché chez Gide, affamé pour Joyce qui trouve dans son insatiable appétit une façon de conserver sa dignité face à l’impécuniosité, endurant mais en retrait, mutique puis mourant de Beckett. Kempf rapporte qu’un de ses élèves travaillait à une Anatomie de Samuel Beckett. Les analyses attentives des manifestations corporelles des personnages de fiction comme des écrivains auxquelles il s’adonne, pour sa part, dans Notamment relèvent d’une véritable anthropologie du champ littéraire. Un champ que Roger Kempf aura parcouru, jusqu’au bout, avec une passion et une intelligence qui ne se seront jamais démenties.




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Éditions Furor
144 p., 16,00 €
couverture

1. Il est mort quelques jours avant sa parution.

2. On lui doit « notamment » – à (re)lire sans délai : Dandies : Baudelaire et Cie (Seuil, 1977) ; Bouvard, Flaubert et Pécuchet (Grasset, 1990) ; Diderot et le roman (Seuil, 1964) ; Sur le corps romanesque (Seuil, 1968)

3. Diderot, Œuvres complètes, Le Club Français du Livre, 15 vol. 1969-1973. Notamment est dédié à Roger Lewinter.