par Agnès Baillieu
Hésiode, VIIIe-VIIe s. av. JC (?), était aux yeux des Anciens le rival ou l’égal d’Homère. La Théogonie, qui « raconte » la naissance des dieux, spontanée, sans créateur, donne dans sa section centrale les clés de la place de l’homme au sein du cosmos. Œuvre vraiment singulière et, au delà des hellénistes, le travail dont elle est l’objet dans ce volume (bilingue) est riche d’enseignements pour les praticiens du texte écrit et oral1. Peut-être aussi pour les non-hellénistes, s’ils ne sont pas gênés par l’absence de transcription du grec, notamment dans le glossaire, et d’explication de termes spécialisés. L’éditrice-traductrice adopte une démarche philologique2 et, dans son « Adresse au lecteur », Barbara Cassin, précise qu’elle résout « des énigmes léguées intactes par la philologie barbue » ! De fait, le poème est truffé d’énigmes et d’allégories. Pour reprendre les termes de la traductrice, « … le monde décrit par Hésiode… est à bien des égards semblable au poème. » Il est « une image du cosmos, une image auditive autant que visuelle, à condition de lui rendre sa dimension sonore. » (p. 9) Ainsi les noms des divinités ont des sonorités évocatrices dans un parcours auditif et signifiant, tissé de maints jeux phoniques créateurs de sens ; le glossaire en donne des analyses brillantes et nouvelles qui convoquent même l’étymologie populaire. Mais… le texte grec est établi sans la prudence convaincante d’un Mazon qui rejetait nombre d’interpolations3. D’autre part les vers, « ces cellules irréductibles » (p. 20), sont traduits en pratique unité par unité, ce qui ne contribue pas à la fluidité de l’ensemble. Surtout, les noms propres étant très nombreux, « il faut transcrire et pourtant, il faut traduire ! » (p. 23) ; c’est le cas par cas qui a été choisi par la traductrice – en voici un exemple : « Quant à Nuit, elle enfanta l’effrayant Moros (Destin), et Kère la noire / et Thanatos (Mort), et elle enfanta Hypnos et engendrait la tribu des Oniriques » (v. 211-212)4. En vérité, il n’est pas sûr que la traduction soit si « musicale », si proche de la poésie hésiodique qu’on l’espérait5.
1. La traductrice se livre elle-même à des interprétations chantées des vers grecs.
2. Je renvoie quant à moi aux travaux de Jean Bollack.
3. Les Belles Lettres / Budé, (1928) 1979. À signaler les traductions plus récentes, disponibles en collections de poche de Annie Bonnafé (1993), Philippe Brunet (1999) et Jean-Louis Backès (2001).
4. Traduction Paul Mazon : « Nuit enfanta l’odieuse Mort, et la noire Kère, et Trépas. Elle enfanta Sommeil et, avec lui, toute la race des Songes. »
5. Maurice Mourier, dans La Nouvelle Quinzaine littéraire, n°1123, p. 16, parle d’une « version Walkyries ». J’ajouterai, pas assez relue (on relève un Leconte de *Lille p. 23, *une antre profonde p. 35 et v. 483, des *Erynies v. 185 et p. 255…).