Jean Clair : Marcel Duchamp ou le Grand fictif : essai de mythanalyse du « Grand verre »

 
par Matthieu Gosztola

Faire reparaître un ouvrage important, depuis longtemps introuvable. Le faire bellement, en soignant de beaucoup la maquette. Choisir un tirage qui, pour n’être pas démesuré, n’en est pas pour autant dérisoire. Loin de là : mille exemplaires. Faire reparaître un ouvrage important. Le faire en veillant à ce que la peau du livre ne soit entachée d’aucun code-barres. Le faire sans que les noms des éditeurs, graphistes et imprimeurs soient mentionnés. Ni sur la couverture, ni ailleurs. Faire reparaître un ouvrage important. Et, ce faisant, céder les droits de celui-ci à quiconque voudra le reproduire autrement. Pourquoi ? Il faut se reporter à cette circulaire pour que soient rendus visibles, courant sous la peau de l’audace, tous les muscles tendus de ce geste, toute la signification enclose dans chacun des choix qui font que ce geste est Geste.

Maintenant, qu’en est-il de l’ouvrage en question ? Marcel Duchamp. Soit la lacération joyeuse et cruelle des conventions. La délicatesse du rêve brûlant. L’harassante nouveauté qui nous est proposée. Proposée, jamais imposée (a contrario des travaux – décisions faites œuvres – émanant des papes de l’art contemporain ; travaux sanctifiés par le dollar roi, et conçus par une cohorte d’assistants auxquels on a greffé Iphone et Ipad). Jean Clair. Soit la parole critique naissant du plus profond d’un je qui ose l’éclat. D’un jeu mettant à mal un certain nombre – grand nombre – de règles instituées.

La parole critique ? L’écriture de Clair, quelle que soit sa complexité, quelles que soient ses arabesques (comme c’est le cas dans ce Grand fictif), tient davantage à de la parole écrite qu’à de l’écriture, laquelle – si l’on devait risquer une définition – propose une forme qui est sa propre finalité sémantique. (Quand bien même un sens pourrait être proposé, et l’est de facto, du moins la plupart du temps, ce sens est alors davantage qu’exalté par la formecette exaltation étant ce qui s’opère dans le creuset du Grand fictif – : ce sens naît de la forme. Et le mouvement de cette naissance devient aussitôt, par risque, aller-retour fécond, car c’est comme si, dans le même instant, la forme naissait du sens né uniquement de la forme).

À tout moment se profile l’exaltante malice pénétrée de sérieux de Clair, lorsqu’on le lit. Livre après livre. Après livre. À tout moment se profilent sa docte insolence, son impatiente patience à démêler le vrai du faux, à faire choir les fausses idoles de leurs piédestaux en stuc rapidement peints à la bombe dorée. C’est une parole arrivant, et se cherchant, dans le moment même – mouvement même – où elle arrive. Se cherchant pour chercher. Et quelle est cette quête ? Celle d’un surcroît de beauté. Laquelle beauté ne saurait survenir, si ce n’est en volant à quelques dizaines de centimètres du sol2, accrochée à la crinière d’une exigence de vérité. Jean Clair le sait. Et nous le dit. Et nous le redit. (L’implicite parle.) Dans son beau Grand fictif.




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Apostasis1
160 p., 20,00 €
couverture

1. Voir aussi le captivant site de paroles multiples & de découvertes Le Rideau

2. Meuble, puis caillouteux, puis nourri par la pluie, puis voilé par la mousse, en certains endroits.