par Tristan Hordé
On connaît l’imprimeur éditeur Guy Lévis Mano (1904-1980) – sous le sigle GLM – qui a publié nombre de surréalistes, mais aussi Henri Michaux, Max Jacob, René Char, Pierre Jean Jouve, Georges Bataille, Novalis, etc., et a traduit Coleridge, Carroll, Góngora, Neruda, Lorca, etc. ; on a un peu oublié son œuvre poétique et il faut se réjouir de la réédition de ses poèmes écrits pendant (de 1940 à 1945) et après sa captivité, qui suivent la reprise en 2007, chez le même éditeur, de Loger la source. Une partie des poèmes a été publiée en Suisse en 1943 et 1945, sous le nom de Jean Garamond, avec des textes d’Albert Béguin (qui avait reçu le manuscrit), de Pierre Jean Jouve et Pierre Courthion ; deux autres recueils, postérieurs (1947 et 1948) ont été inclus dans ce volume.
L’homme immobile, c’est le soldat mort devant le narrateur (« mon camarade a murmuré : ça y est [...] / C’est très simple – et c’est cela la mort »), mais il représente aussi la perte de la liberté du poète, son enfermement, « tu écoutais immobile derrière les barrières gardées ». Toujours reviennent dans les poèmes le désir de connaître à nouveau « le souffle d’air bleu des portes ouvertes », les souvenirs attachés à Paris et, en particulier, ceux liés à son activité d’imprimeur. Loin de son atelier, il rêve à ses « beaux poèmes / [qui] vivent en tribus séparées dans leurs casses », et la blessure de cet éloignement est présente encore dans les poèmes après sa libération (« Voici mes doigts qui alignaient les caractères / défaisant et refaisant jusqu’à la certitude / du portail haut élevé »).
Ce qui est dit aussi dans ces vers libres d’une grande sobriété, c’est la vie quotidienne dans les baraques des camps, le « Miracle du prisonnier que le sommeil libère », la faim, toujours, cette « faim sèche qui vous vrille le ventre », la promiscuité et l’impossibilité d’être seul : « Accorde-moi d’être seul intégralement / seul seul moi moi ne fut-ce qu’un moment ». Mais le plus difficile peut-être à supporter, c’est « l’absence de femme comme un trou noir dans nos nuits / [... qui a] fait nos cerveaux et nos cœurs barbelés ». La blessure du manque, de l’absence ici sont vives et seul le retour à la liberté a pu permettre à nouveau « de construire l’espoir », selon le mot de Jouve.