par Christophe Stolowicki
Quand le bourgeois, petit ou grand, dit « le mufle », dit « le groin », dit « le calicot », dit « maupiteux […] L’andouille », règne en maître – l’escrime verbale appelle en lice un bretteur-ès-lettres qui envoie ses témoins dans les salles de rédaction1. Orfèvre jusqu’au bout des ongles taillés en pointe de sabre au clair, plus parnassien que symboliste, plus pamphlétaire que parnassien, flamberge au vent, gamberge à flanc de rime savante, enchaînant de tierce en quarte tercet sur quatrain, sonnet sur villanelle, le poète n’est pas un doux rêveur. À ses débuts pastichant Baudelaire comme l’aîné capital, le décalquant sans recul2, Laurent Tailhade (1854-1919), un fils de magistrat devenu l’imprécateur thuriféraire de l’anarchisme, brassant l’air du temps des pales géantes de son ventilateur miniaturisé, contorsionnant la langue avec élégance, sarcasme, virulence, fureur, et la gratuité acérée de ses traits d’érudition3 – met bientôt l’écrivain à l’unisson de l’homme, de son tempérament. Les filles de Camaret / se disent toutes vierges probablement parce qu’anticlérical aussi farouche que fut fier athée Cyrano de Bergerac, Tailhade eut démêlé avec les bigots de la bourgade bretonne ainsi qu’avec le guet son faux cousin gascon.
1. Auguste Vaillant a lancé une bombe à clous dans la Chambre des députés, Tailhade salue « la beauté du geste ». Une bombe, vraisemblablement de police, lui arrache un œil, les journalistes se déchaînent en railleries. Il ne porte pas plainte mais provoque les railleurs en duel à sa sortie d’hôpital.
2. « Mes désirs vont vers toi comme des tourterelles » ou « les neiges automnales / Ont posé la pâleur des suprêmes adieux ».
3. Un exemple entre cent : « clangorer », construit sur clangor, cri d’oiseau ou sonnerie de trompette.