Guy Goffette : Un manteau de fortune / Mariana, portugaise

 
par Odile Mouze

Rassemblés sous un poème épigraphe de Jacques Réda, ses trois grands recueils1 rendent d’une seule coulée l’obsédante musique de Guy Goffette. « Que voulez-vous qui tienne un tableau sinon la couleur »2 : et quoi tiendrait un poème sinon sa musique ? Ici sourdement comme d’un jardin où l’on ne saurait pas d’où vient le bruit de l’eau. La subtile prosodie du très verlainien Guy Goffette, ses rythmes, impairs mais sans système, ses vers qui boitent pour tomber juste avec la nostalgie, la lumière de biais, le grincement de l’instant, ses rimes évitées, si souvent, de justesse : rien d’attendu, rien qui pause, rien qui pèse, pas même les distiques au rythme des pas3. La passion-Rimbaud (cf. les Vieux dizains, et partout l’ombre de « JAR »), l’empathie avec Verlaine, les jours ordinaires d’une vie ordinaire et si terriblement fraternelle, le Tombeau du Capricorne endeuillé – tout Goffette arraché entre le sentiment de la beauté et l’inutilité des départs. Et que voulez-vous qui tienne un poème si ce n’est la vie même d’un homme, ses élans et ses déchants, « ce qu’un cœur peut cacher sous des mots transparents », ce qui s’infiltre entre les fissures des images, et revient souvent dans l’envoi, comme une lame tout à coup en biseau, et submerge, et pour autant ne cherche pas à conclure.

Mariana, portugaise4 peut être lu comme un accompagnement à l’aria des Lettres Portugaises. Guy Goffette – convoquant en ombres tutélaires les grandes amoureuses, plus ou moins allusivement dans le texte ou les épigraphes – ouvre sur la torture de l’absence un regard d’homme sidéré par le cri de la fée. Éperdu d’impuissance devant le spectacle de l’amour qui n’a plus d’autre aliment que la jouissance de souffrir (dans l’état même du soleil qui consume sa propre matière) et qui – puisque c’est tout ce qui demeure – porte à incandescence le fer rouge du souvenir et le souvenir du fer rouge. Un regard d’homme interdit, fasciné, exclu de ce lieu où règne l’absolue jouissance du manque, n’ayant en viatique que l’épreuve de son propre désir pour approche et réponse.




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Un manteau de fortune
suivi de
L’adieu aux lisières et de
Tombeau du Capricorne
Préface de Jacques Réda
Gallimard
« Poésie »
304 p., 7,00 €
Mariana, portugaise
Gallimard
72 p., 9,50 €
couverture
couverture

1. Un Manteau de Fortune (2001), L’Adieu aux lisières (2007), Tombeau du Capricorne (2009).

2. Nicolas de Staël.

3. cf. le « déchant » intitulé « Un arbre dans le matin ».

4. Première édition en 1991 au Temps qu’il fait.