par Bruno Fern
Du premier ouvrage, j’ai déjà écrit tout le bien que je pensais ailleurs qu’ici et, étant donné son épaisseur, je ne vois guère ce que je pourrais y ajouter, sauf que cet opuscule vaut vraiment le modique investissement postal demandé en échange – outre le fait de soutenir au passage une entreprise éditoriale qui le mérite amplement. Cela dit, j’en profite pour signaler qu’un autre extrait du même ensemble est désormais lisible dans la revue de Poezibao.
Quant au second, on y retrouve des principes d’écriture analogues, c’est-à-dire des contraintes que l’auteur explique volontiers dans le détail lors de ses lectures publiques, avec un sérieux qui provoque cependant un sourire en coin chez les auditeurs qui, ayant la chance de connaître un peu le bonhomme et son œuvre, ne peuvent s’empêcher de voir dans leur nombre (celui des contraintes, pas des auditeurs : 4 et demi) une énième preuve de la bizarrerie quélenienne, dans la droite ligne du 7ème étage et demi d’un immeuble où les occupants sont obligés de se déplacer courbés en deux1. Les traces de ces règles du jeu apparaissent aux yeux du lecteur lambda au moins sous deux modalités : le format des textes, que les titres de chacune des parties indiquent : Dizains (100 au total) puis Douzains (120), faits de phrases le plus souvent grammaticalement minimales; les reprises qui s’y opèrent, comme s’il fallait sans cesse agencer différemment les mêmes éléments (chaque texte numéroté semblant constituer la nouvelle version d’un énoncé originel qui resterait à jamais inaccessible), ces répétitions ne procurant heureusement pas l’impression d’un ressassement grâce à de multiples décalages. Ces processus de travail sont très fréquemment évoqués au fil du livre : « De brefs changements sont rapides. Nous réactivons rapidement dans le temps. Ce qui vient ensuite est composé de fragments et de débris. » Ou « Tel ou tel homme a besoin de rejaillir à la vue. J’ai besoin. Je noie dans un carré restreint. » Rejaillir à la vie, aussi bien, car ce que Dominique Quélen tente d’abord, c’est d’évacuer ce qui, sans ça, risquerait d’obstruer les tuyaux divers et variés, pour permettre qu’il y ait un minimum de mouvement, donc de vivant. La tonalité générale mêle cette dimension existentielle tout en affirmant régulièrement la conviction qu’il s’agit d’une action aux conséquences forcément limitées : « Je dis que je ne peux pas tout faire ici. » En effet, s’il y a là du tragique qui remonte inlassablement à la surface, une éventuelle complaisance est tenue en respect à la fois par la distance qu’introduit le travail formel et par l’humour dont certaines phrases, tournant parfois à l’aphorisme quelque peu déjanté, sont porteuses : « L’écriture vendue par lots remplace un chant plein de grandeur et de vanité. » Ou bien « Il suffit de courir en étant sympathique et distinct comme du linge zéro défaut. » – Ce qui est toujours bon à savoir, non ?
1. Dans la peau de John Malkovich, film de Spike Jonze (1999).
2. Ou 5 timbres poste à validité permanente « Lettre verte » (20g).