par Olivier Quintyn
L’ambition théorique de cet ouvrage, adapté d’une thèse de doctorat, vise à produire, à partir d’un corpus comparatiste constitué ad hoc (à partir de Testimony de Charles Reznikoff jusqu’à Stalingrad d’Alexander Kluge, en passant par les Français Georges Perec et, de façon plus inattendue, Annie Ernaux), un nouveau concept poéticien, irréductible à la notion traditionnelle et statique de genre : celui de factographie. Une factographie réarticule des sources textuelles hétérogènes dans un même espace dès lors stratifié (celui du livre) ; elle capte des fragments arrachés à l’empirie (par des pratiques de notation sur le vif ou des captations quasi photographiques chez Ernaux ou Perec) ou à des arènes disciplinaires et sociales que les dualismes institutionnels entérinés rejettent du côté de l’extralittéraire (par exemple, les textes juridiques et historiques retraités et redécoupés chez Reznikoff ou Kluge). Marie-Jeanne Zenetti s’appuie sur l’usage foucaldien de la notion de dispositif ; toutefois cet usage foucaldien, qui repose principalement sur une saisie avant tout macroscopique du social, demeure relativement malaisé pour saisir la dimension pragmatique des objets décrits, et les médiations fines par lesquelles ces dites factographies inquiètent, interrogent, disloquent, par une coprésence forcée de jeux de langage divers, l’ordre des discours efficaces ainsi que les normes symboliques qui produisent scientifiquement, juridiquement et médiatiquement la vérité. En reconduisant dans un premier temps un dualisme jaussien entre d’un côté des effets internes (programmés par un « texte » idéal-typisé) et d’autre part la réception externe des factographies (laissée du côté des « lecteurs »), et, dans un second temps, en gardant intact un autre partage entre une reconnaissance « artistique » des matériaux des factographies et une reconnaissance « extra-artistique », Marie-Jeanne Zenetti se prive des outils pour penser le travail critique justement transinstitutionnel des dispositifs. Par rapport à la construction conceptuelle pragmatiste du document poétique chez Franck Leibovici, qui met en place des descriptions continuistes entre poésie, sciences, arts et procédures plus vastes de construction de la réalité sociale, il y a là un risque, non négligeable, de régression.