Christophe Fiat : La comtesse

 
Par Emmanuelle Pireyre

Le soupçon qui a atteint l’énonciation du vrai en littérature depuis la seconde guerre mondiale fait en général préférer la première personne du singulier ; Christophe Fiat, lui, invente une manière de remettre en service la troisième personne, assez fine et rigoureuse pour que les acquis du doute n’en soient pas pour autant oubliés.
Son mode opératoire, déjà présent dans Héroïnes, s’applique ici à la biographie de la Comtesse de Ségur : il innerve le récit de style indirect libre, si bien que la voix du narrateur se fond dans les motifs des personnages avec une empathie plurielle qui emprunte d’abord le point de vue du personnage central, Sophie de Rostopchine, mais se glisse aussi passagèrement dans les pensées d’Eugène, son mari volage, ou de Hachette, qui publie ses livres. Cela va plus loin et se teinte d’une luminosité différente quand le récit pénètre sans discontinuité à l’intérieur des romans de la Comtesse et adopte la voix, la logique, ou les désirs de leurs personnages (par ex. le mode d’être de madame de Fleurville : « Il n’y a pas de dégradation finale, de chute ni d’éparpillement »).
Enfin, toujours sans discontinuité, ce même flux d’énergie qu’utilise Fiat pour décrire les sentiments amoureux de la comtesse, peut aussi bien porter des éléments d’une théorie littéraire non séparée de la vie : lorsqu’il met en relation l’efficacité narrative des romans pour enfants avec la vitesse des trains dans lesquels ils seront lus, ou lorsqu’il indique dans le dernier roman (Après la pluie le beau temps) l’oralité propre aux paroles du personnage de Romoramor qui emporte l’écriture de la Comtesse « dans une langue monstrueuse qui sonne comme un phonographe ».




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Naïve
« essais »
96 p., 17,00 €
couverture