Europe /
Charles Pennequin : Charles Péguy dans nos lignes

 
Par Anne Malaprade

Comment, pourquoi lire Charles Péguy ? S’il est « dans nos lignes », c’est parce que son œuvre poétique et philosophique engage un combat tant politique qu’esthétique qui est encore le nôtre, combat mené qui peut et doit être mené depuis les livres, avec les livres, mais également sur la place publique, à corps et à cris. Si Péguy n’est pas reconnu comme poète – Gide tenait ses alexandrins pour « les plus mauvais qui aient été bâclés dans aucune langue » –, c’est sans doute, avance Charles Pennequin, parce qu’il avait « ce sens de la communauté et non de l’individu ». S’il a été reconnu comme philosophe, au moins par Deleuze, c’est parce qu’il investit de manière très peu académique la philosophie de l’intérieur : « Par le milieu. Par le centre. Par le nœud. » Si Pennequin le reconnaît à la fois comme poète et comme philosophe, c’est parce qu’il « a la symphonie du souffle », souffle qui pousse, bouleverse, accompagne la pensée, une pensée elle-même mouvementée, relancée, incarnée. Pensée en acte, pensée actée, pensée active, pensée-action. Ainsi peut-on recevoir aujourd’hui l’œuvre de Péguy comme un « don », nous qui ne cessons de capituler, de transiger, de collaborer, de concéder. Nous qui détestons la vie et les humains, les bonshommes et les bonnes femmes, écoutons la colère et la bonté de Péguy, telles que les travaux critiques rassemblés dans Europe tentent de les caractériser.
Péguy n’a manqué ni son siècle ni le suivant. Lui qui vivait « dans le tremblement d’écrire » a expérimenté de multiples formes d’écriture en vers et en prose. Il a également défini la lecture comme une entreprise liant deux états que sa propre œuvre ne cesse de frôler et de dessiner : « l’acte commun, l’opération commune du lisant et du lu […] est une mise en œuvre, un achèvement de l’opération, une mise à point de l’œuvre, une sanction singulière, une sanction de réalité. » Les études ici rassemblées constituent effectivement une « sanction de réalité ». Elles convoquent (au sens d’appeler) ce qui dans cette œuvre peut nous émouvoir, nous surprendre, nous interloquer. Nous sommes des combattants désœuvrés et sans combat que la voix de Péguy peut réveiller. Parmi les lecteurs avertis et savants regroupés dans Europe, beaucoup d’universitaires (Henri Mitterand, Michel Jarrety, Jean-François Louette, Jean-Pierre Martin, Philippe Grosos, Géraldi Leroy, Maud Gouttefangeas, Roger Dadoun, Camille Riquier, Jérôme Roger), des hommes de théâtre (Samir Siad), des écrivains, trop peu d’écrivains (Charles Pennequin), des philosophes (Alain Badiou), des commissaires d’exposition (Julien Collonges et Jérôme Schweitzer). L’ensemble propose des entrées diverses dans la matière textuelle de Péguy : points de vue littéraires, stylistiques, historiques ou encore philosophiques qui se rejoignent pour insister sur la dimension musicale d’une langue-pensée qui creuse les concepts, solfie les sons, multipliant les reprises et les échos. L’appel des mots est le rappel d’une mémoire de la langue que les textes de Péguy ne cessent de revisiter, de pénétrer. À nous, lecteurs, non pas de regarder ou d’écouter cette œuvre, mais de nous laisser voir, de nous laisser prendre et subtiliser par cette force et ce courant mélancoliques qui caractérisent des textes tissés à partir du songe le plus réel qui soit : la vie, comme la littérature, est désachèvement.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Europe
N° 1024-1025
« Charles Péguy »
384 p., 20,00 €

Charles Péguy dans nos lignes
Atelier de l’agneau
72 p., 14,00 €

couverture
couverture