Par Dominique Quélen
À l’origine, un texte que Joyce enregistre en 19291, extrait du work in progress. En 1930, Ogden met au point son basic English. Projets apparemment contraires. D’un côté la négation de la polysémie littéraire, un millier de mots devant suffire à tout signifier, du proto-globish. De l’autre, une étourdissante forgerie, un miroitement polyglotte. Étrange entreprise que d’appliquer à la babélisation joycienne de la langue, à cette langue augmentée comme on le dit d’une réalité, à ce travail de condensation proche de la logique-valise des rêves, un projet de langage simplifié et appauvri. Pourtant, Joyce et Ogden ont « traduit » ensemble Anna Livia Plurabelle, huitième et dernier chapitre de la première partie de Finnegans Wake. Ce bref livre2 est donc la traduction d’une traduction, qui plus est d’un état transitoire du texte. Objet poétique sans équivalent. La tension entre vocabulaire réduit et syntaxe expansive, comme obéissant à une secrète contrainte formelle, y crée un effet comique indéniable, immédiat. Des figures de style pseudo-maladroites semblent exprimer un état d’apprentissage de la langue qui nous rappelle que le basic English était destiné aux colonies de l’Empire britannique3.
1. http://www.youtube.com/watch?v=grJC1yu4KRwsa diction y est proprement merveilleuse.
2. Il s’agit ici des toutes dernières pages du chapitre. Le texte complet est à paraître chez le même éditeur.
3. Également paru, du même traducteur : James Joyce, Musique de chambre & autres poèmes, La Nerthe, 128 p., 12 € : ce volume contient (p.120-121) les vers publicitaires pour la parution d’Anna Livia Plurabelle.