Par Agnès Baillieu
Le « grand public » doit beaucoup à Henri Weil (1818-1909)… et à Laurent Calvié : ce volume très riche est le fruit d’une recherche impressionnante et d’un intérêt passionné pour le « Nestor de la philologie ». Il présente dans l’ordre chronologique de leur publication (de 1844 à 1908) trente-quatre études sur l’ancienne poésie grecque, éclairées de notes et compléments, bibliographiques notamment (mise en page et choix typographiques irréprochables). Né à Francfort, naturalisé français en 1849, enseignant hors pair, son objectif était la compréhension offerte au plus grand nombre. La tragédie grecque étant « le legs le plus précieux » de l’Antiquité en fait de poésie, la critique et l’explication des textes devaient s’appuyer sur des études historiques visant à l’interprétation du monde ancien. Son « art de lire », sans dogmatisme, constituait alors une innovation : reconnaissant l’altérité des Anciens, le « fossé infranchissable » qui nous sépare d’eux, il s’agit de repenser « ce qu’un autre pensa » sans l’aide de catégories modernes, mais en examinant chaque détail pour élaborer une vision d’ensemble. Henri Weil a ainsi excellé dans la reconstitution d’une œuvre à partir de fragments conservés. Grand éditeur d’Eschyle – il a travaillé sur Prométhée de 1844 à sa mort –, les poètes grecs étaient pour lui avant tout des musiciens et la poésie un « discours sensible ». Son œuvre est un « art de lire », bâti sur l’édition critique et érudite de maints poètes, pleinement conscient de l’historicité des textes, et des philologues comme J. Irigoin ou J. Bollack ont reconnu leur dette à l’égard de ce savant qui n’est jamais allé en Grèce.