par Sacha Steurer
À condition de ne pas la réduire à un genre, la poésie est comparée ici à la danse comme appréhension du langage nouée à l’épreuve du corps, dans le silence. C’est en deçà de l’acte chorégraphique, en deçà de l’avènement poétique, dans l’accointance d’ordre phénoménologique avant la déhiscence du dire et du mouvoir que se situe la recherche innovante d’Alice Godfroy, à la fois docteur en littérature comparée, danseuse et pédagogue du mouvement.
Courageuse, l’universitaire et artiste se confronte à une zone des moins explorées : le rapport qu’a entretenu la poésie à la danse dans la seconde moitié du XXe siècle, un rapport qui, selon elle, n’a jamais été aussi fort que depuis qu’il s’est tu, au cœur de la crise de la représentation. Après Baudelaire, Rimbaud, Paul Valéry, Rilke, pour ne citer que quelques poètes où, dans leurs œuvres, la figure de la danseuse est explicite, une grande absence de la danse règne en poésie depuis la seconde guerre mondiale. C’est au creux de cette faille qu’Alice Godfroy mène son investigation auprès des écritures d’Henri Michaux, Paul Celan, André du Bouchet, et Bernard Noël. C’est à la création du concept de dansité que l’on assiste à travers la thèse publiée en deux ouvrages. Concept qu’elle définit comme : « une chorégraphie du dedans qui constitue la matière première des gestes de l’art parce qu’elle correspond au déploiement, à un niveau infra-poïetique, du phénomène de toute genèse esthétique ». Un apport énorme pour la danse qui, après la Poétique de la danse contemporaine1 par l’historienne Laurence Louppe, se voit complété par une approche à l’endroit de la formation du mouvement, en deçà du spectaculaire. Le Contact improvisation est dans cette étude à l’honneur comme représentatif d’une pratique de la danse qui dans son immédiateté rejoint une pratique d’écriture liée à la genèse de son geste, la poésie.
Ces travaux, au-delà de dépasser la poésie et la danse pour s’ouvrir aux autres arts, dépassent également la forme universitaire pour s’ériger en véritable manifeste à l’encontre des approches intellectualistes de la poésie, pour une lecture par le corps.
Ganse Arts et Lettres
504 p., 24,00 €
1. Première édition en 1997 ; deuxième édition augmentée en 2007.