par Mathieu Nuss
Riche numéro mêlant plusieurs « dossiers auteurs » consacrés par ordre d’apparition à Éric Chevillard, Jean-Louis Giovannoni, Esther Tellermann et José Carlos Becerra, les chroniques, et le traditionnel « dossier de création ». On surfe sur les vagues d’Europe. Un éclairant entretien avec Chevillard : « Je me lance dans le vide à corps perdu. Je sais qu’en écrivant des parachutes vont s’ouvrir ; au pire je me raccrocherai aux branches » – une aventure vraie dans la langue souvent pétrie d’humour. Les territoires mentaux dans la poésie de Tellermann que ses livres, rares, tentent de formuler pas à pas, à coups de visions, de germes de chant, livrant, comme le note si justement Cédric Demangeot, des « pages jamais encombrées de rien ». Un long extrait de « Comment retarder l’apparition des fourmis », de Becerra, poète mexicain mort tragiquement à 34 ans d’un accident de voiture lors d’un périple en Italie. Se manifeste au premier chef dans la page une éblouissante et tourmentée fécondité : « quelqu’un remue / quelqu’un trame le froid d’une mise en bouteille, / bouteille qui flotte laissant s’évaporer / les lettres du message, / le trait qui s’incurve / sous le poids de l’image où la ligne / absorbe cela / qu’elle désirait dire de l’espace ».
Dans le double numéro 1027/1028, plus de 200 pages, introduites par Laurence Breysse-Chanet et Jean-Baptiste Para, sont consacrées à Maria Zambrano qui, toute sa vie dans son œuvre, a cherché à allier la nécessité intérieure aux déterminismes externes. Écrivain engagée pendant la guerre d’Espagne puis plus tard, durant celle du Golfe. Depuis son exil cubain, la résonnance porte encore : « Dire peuple, c’est dire ecce homo »1. Octavio Paz a retenu la voix si particulière de Maria « une voix liquide, qui n’avance pas en ligne droite mais qui serpente entre pauses et hésitations comme si elle évitait les obstacles invisibles ». Des redécouvertes de textes2 datant du début des années 50. Suit une bonne page sur la nouvelle Philharmonie de Paris3, dont le financement ne va pas sans problème, puis le « coup de cœur » de Jacques Lèbre, cette fois pour l’écrivain insolite, le renversant et revigorant Pierre Lafargue.