par Véronique Vassiliou
D’un trait
Mika Biermann a commis une nouvelle fois un livre comme un délit, un livre-délit. Mika Biermann écrit en délirant délinquant rabelaisien. Tout lui est permis, il laboure brutalement les codes et contraintes sous un ciel où les hirondelles sont « bloquées dans leur vol hystérique ».
Du récit d’aventure, tiens, vous en voulez du récit d’aventure ? Allez une bonne rasade ! Du sang qui dégouline façon ketchup bien rouge et collant, et hop une bonne giclée ! Du Robinson pas Crusoé du tout, du Robinson Biermannien pur jus un peu sale, allez, une bonne louche ! Du polar, des os qui craquent, des bouts de peau, des images, des couleurs, de la dérision, un inspecteur, des scènes et des personnages foldingues, du rire gras, en voici à la pelleteuse.
Le tout sur fond subtil, car le Biermann manie le brassage avec brio. Et ça, c’est unique. Des cartes postales données recto verso ponctuent le roman :
« Recto : un geyser qui envoie un puissant jet d’eau chaude vers le ciel
Verso :
À la salade je suis malade
Au céleri je suis guérie
Berthe »
Le roman ? Euh non, la narration. La narration ? Euh non, le film. Le film ? Euh non, les feuilletons. Les feuilletons ? Euh, un peu tout ça mais mixé avec de la jubilation, vous voyez ? Non...? C’est normal, ça se lit d’un trait et ça régale dans tous les sens :
« Le frigidaire tient ses promesses. Du jambon. Une cuisse de poulet froid. Un fromage frais. Du lait. Du jus de pomme. Encore du jambon. Du saumon fumé. Des oignons confits. De la vodka. »
C’est impossible à raconter, si ce n’est qu’il y a une Berthe, un Dr Fischli, de la chair à la couleur « d’un vieux camembert » et que c’est de l’action, un livre d’action, que ça ne dégouline pas de sentiments mais que ça grouille de détails picrocholins. Vous voyez ? Non, c’est normal, ça se lit d’un trait et ça régale dans tous les sens :
« Les morts n’avaient rien d’épouvantable, écrasés comme une purée de patates, éparpillés comme du confetti brun. »
Vous voyez mieux à présent ? Il a l’art de figurer. Il a une écriture plastique. Ses pages sont des fresques et des frasques. Et comme si cela ne suffisait pas, il sait faire tourner son lecteur en bourrique car le temps de son euh-roman, vous chamboule un lecteur qui chercherait à lire avec un début, une fin, des chapitres. Un temps qui aurait perdu la boussole que seul Mika Biermann maîtrise d’une main de maître au sens pictural. Bref, ça c’est de la littérature.
Les remarquables éditions Anarchasis, sous la houlette d’un Frantz Olivié dénicheur de pépites, dont « les publications invitent à la découverte d’un extérieur aussi bien situé dans le temps que dans l’espace » avaient publié Un blanc, en 2013. Faites donc coup double, vous ne le regretterez pas.