par Tristan Hordé
Les recueils de Philippe Beck interrogent régulièrement ce qu’est (l’écriture de) la poésie, et le font d’une autre manière des essais, des articles et des entretiens. Ce nouvel essai reprend sous un angle particulier la question qu’éclaire la première des citations en exergue, de Marino Pulliero, « Iduna est la compagne du dieu de la poésie, Braga, et la préférée des dieux : c’est à elle qu’ils ont confié la tâche de garder la pomme de l’“éternelle jeunesse”. » Comprenons qu’il ne s’agit pas d’un essai sur la jeunesse de la poésie, mais sur ce que la poésie contient de jeunesse : elle « réinvente l’invention ».
On ne commentera pas le contenu de chacun des trois chapitres, il faut les lire et relire, méditer ce qui est avancé à propos de la transmission, de la nécessité de « préserver [le passé] en avançant ». Parallèlement, la lecture incite à revenir aux auteurs cités (parfois longuement comme Joseph Joubert), par exemple à Prévert chez qui Philippe Beck reconnaît « un feu naissant continûment de la braise du passé infantile réprimé dans la cendre de la tradition ». La réflexion est toujours inscrite dans un ensemble de textes, véritable fondation, qu’il s’agisse de La Fontaine, Novalis ou Conrad. Dix propositions, notées de A à J (initiale de Jeunesse), très denses, explicitent ce qu’est la relation entre jeunesse et poésie, en quoi « de la jeunesse devient le continu commençant, recommencement sans arrêt et discret ».
Le mythe d’Iduna et Braga est repris, tel qu’il est rapporté dans l’Edda de Snori Sterluson (XIIIe s.) et commenté. Cet examen se termine, avec des fragments de son Journal, par un hommage à Friedrich Reck-Malleczewen, écrivain opposé au nazisme et mort au camp de Dachau. On peut se demander si ce « jeune traité de la jeunesse », pour reprendre les mots de Philippe Beck, n’est pas en même temps un avertissement : la poésie ne préserve pas des menaces du monde présent (« le conte-chaos »), elle devrait toujours contribuer à comprendre et à refuser les illusions.