Laurie Bédart : Ronde de nuit

 
par Christophe Stolowicki

Dénervé de tout onirisme, matière des matières coupant court à l’abysse, yeux scrutés au fond des dieux ne se payant pas de présages, de charpie de langue en lambeaux de réel nous reconstituant plus armés – est le rêve à cru, à son entame, « pensées // nues ». Sous l’égide en exergue de Lucrèce niant de ses doigts gourds, taillés court, carré, que la fonction crée l’organe1, une poésie du moi divisé2, du corps fractionné, rugueuse, aquatique, à familiarités dissonantes, écoule « le blanc lavé des insectes morts ». Plutôt que de happer ses rêves, de transcrire leurs fulgurances (« ne t’arrête pas pour enregistrer / les dessins dans l’éclair ») – de mémoire infuse, mobile, vacante, en dire, décrire la matière composée de quarks étincelants et de cristal pourri, l’arc de spirale d’écrasement au plancher, la chute libre par le siège, membre après membre raclant le sol ; par les pieds vers à vers éradiquant la rime ; par la tête « laiss[ant] pendre ta langue à tes genoux ». Suspendue à leurs branches hypnagogiques et ressorts cassés, en extraire les pépites de déchèterie : « on se brosserait les dents de longues heures / avec du savon à mains pour que la bouche / reste chaude et vraie » ; ou « quelqu’un fume il y a cette épaisseur dans l’air / tu laisses brûler les sons entre les bouffées ».

À vif, à même le corps à corps, à ressauts, à redents de songe en songe la mémoire menteuse chevauche ses allégories. Un matérialisme de nuit surexposé fume sur l’étang en déroulant d’ultimes frondaisons. Dématérialisé, un siècle à mains se prend par la main en ronde de nuit. Intérieur nuit, plans rapprochés, zoom avant à plusieurs temps, une vigie en son énigme traîne ses membres écartelés. La « pulpe » du rêve saisie en direct, il n’est plus gibier à présages, vivier à interprétation, inconscient en gésine ni verbiage aimanté, phonèmes piégeant du sens mais phénomènes, ligne de mire d’une phénoménologie. Convulsive debout, couchée, à l’imparti des choses Laurie Bédart ne se surpaye pas de mots.




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Poèmes
Le Quartanier
72 p., 13,00 €
couverture

1. De la nature, livre IV, v. 1120 à 1138.

2. Ronald Laing, Le moi divisé, 1972 pour la traduction française.