Thomas Clerc : Poeasy

 
par Paul Échinard-Garin

Saluons d’emblée l’acte minimal mais audacieux d’inscrire dans le titre le genre et d’en diminuer aussitôt l’importance, en dépit de l’épaisseur du volume. Condenser et économiser est une dangereuse provocation quand poeasy s’écrit aussi sur les « tee-shirts à messages »1.

Thomas Clerc se prête ici à l’autoportrait fragmenté dans « des poèmes-conversations / avec moi-moi-moi » (p. 325) et y trouve la matière du questionnement : « T.C. ? Un type sympa » (335). Dans l’« outsider / mâtiné d’un fort penchant à l’histrionisme » (195), « il y a trois hommes » (376)2, de même que le miroir amoureux de celle qui s’habille3. Facile n’était-il pas le titre du poème qu’Éluard écrivit pour célébrer sa muse dénudée ?

Aucun autre ordre que l’alphabet pour relancer la production, puis la vitesse de la lecture, selon une écriture syncopée qui s’intéresse à « l’entrelacs / des choses » (372). La légèreté déclarée du trait se prend au coq-à-l’âne de la pensée comme de l’enjambement. Cette poeasy ne s’effraie plus du reproche universitaire de la « prose coupée » : « je coule / la prose dans du / béton elle continue / à couler car / j’ai employé de mauvais matériaux / exprès » (310)4. La métaphore automobile dépasse la page, fait fi du blanc, et gagne « l’autoroute A4 / où tu es engagé / écrits à toute vitesse / écrits chantés ». La suite va plus vite encore qu’un Apollinaire : « je préfère qu’on / ne fétichise rien de tout ça » (64).

Le goût pour les revues piochées au hasard, qui alimenta une truculente chronique radiophonique, agit sur ces miscellanées. Face à l’« invasion projets », le prestidigitateur déclare : « Si je veux je peux transformer ce discours / en disco et le poème en poème / instantanément je le prouve » (132). À partir de l’« annus horribilis » de 2015, l’écrivain tient « chronique ou poème » (56) : « Tout p. / s’entrecoupe / de non-p. d’actes / bruts et nombreux / déplacements » (273). Le comparant est alors « l’aspirateur » de « n’importe quoi » (258) : le terme sylleptique souligne l’attrait pour la poussière, le « vil », l’impur. La consignation des faits et du divers s’avoue un acte « anti-intellectuel » : « Ni philosophy ni poésie / it’s just poeasy / that drives me, drags / me. » (143). Ainsi fait-on « vers et bois de tout » (299) – sans alors en faire feu : pas de bombe ici. Et pourtant c’est l’époque qu’il s’agit d’aspirer. La pointe acérée de la satire intègre donc « ce qui n’est pas moi » au « qui je suis ». L’invective touche les « jobs à la con », les « gens qui s’arrêtent à La Défense », les humoristes, le « vide sidéral » remotivé du vide-grenier, des étudiants en linguistique, et s’attaque aux tendances lexicales de l’époque5… Tous succombent in fine à l’invention géniale du « revolver / à selfie », gadget joint potentiellement au volume.




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Gallimard
« L’arbalète »
408 p., 24,00 €
couverture

1. p. 359

2. Ne négligeons pas le port des « masques sur le visage » de ses performances, ainsi que les quatre apparitions des « stan smith bien blanches ».

3. Certaine poésie de circonstance peut donc n’être que « susurré à Anne » (p. 356).

4. Presque rien n’indique en combien de temps les 751 poèmes furent écrits : « J’ai 50 ans / de poèmes enfouis, cachés, pliés » (p. 108). Rappelons la contrainte journalière que Pierre Alferi avait fixée à chaque page écrite de sa Sentimentale journée (1997).

5. Cf. entre autres « Qu’est-ce qu’ils ont tous avec le ressenti ? » (p. 313).