Frédérick Houdaer : Nuit grave

 
par Jean-Pascal Dubost

Le titre intrigue, polysémique à souhait, distillant un subtil humour : faut-il lire « [la] nuit [est] grave », « [la] nuit grave » ou « [ça] nuit grave [à la santé] » ? Frédérick Houdaer en effet, en ce livre, manie l’humour du-lard-ou-du-cochon, car la nuit, tous les chats sont noirs, et les situations confuses, ou inversées, ou libérées. « Que se passe-t-il quand tout est noir ? » fut le thème d’une commande de résidence d’écriture de nuit (chose rare) passée au poète qui, pour le coup, a pernocté pendant quelques nuits pour écrire ces poèmes publiés magnifiquement par La Boucherie Littéraire ayant fabriqué un livre à la couverture teinte nero, aux pages noires, au texte en caractères blancs. Rencontres nocturnes (d’un « damné moustique »), pensées nocturnes (« que nous connaissions de sérieuses insomnies / n’apparaîtra pas dans notre dossier C.A.F. »), faits nocturnes (« à deux heures du matin / on a le droit d’aller sur des sites pornos ») constituent la trame des poèmes dont la matière est toujours issue du vécu de près, au plus près, non sans cet amusement distancié qu’offre un caractère trempé de lucidité. Avec un jeu sur l’expression « c’est le jour et la nuit », où le coordonnant oppose et non point unit, clairement, Frédérick Houdaer oppose le jour et la nuit, car on fait la nuit ce qu’on ne pourrait faire le jour, quoiqu’on ferait bien la nuit ce qu’on fait le jour aussi ; la nuit, il n’y pas que les bonnes gens qui dorment, le poète ici pointe cela. Le livre de Frédérick Houdaer, où la nuit est un temps hors temps, est un éloge de ce temps de relative liberté, celui des zombies bien vivants, peut-être même plus vivants que les diurnambules.




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La Boucherie Littéraire
« La feuille et le fusil »
24 p., 12,00 €
couverture