Joe Brainard : Peindre le moment pour vous cette nuit

 
par Nicolas Tardy

Le lectorat français connaît parfois Joe Brainard comme l’auteur de I remember dont Georges Perec adapta le principe pour écrire son Je me souviens. Peindre le moment pour vous cette nuit permet d’élargir la vision réductrice du travail de celui qui fut d’abord un artiste visuel (quelques dessins sont visibles dans ce livre) dans un esprit proche du Pop Art. De même que I remember est plus ancré dans la vie intime de son auteur que Je me souviens, l’art de Brainard n’est pas distancié comme celui de Warhol. Si le personnage de comics Nancy est un de ses sujets récurrents, le fait que ce nom était donné à des hommes efféminés n’est pas sans échos avec la façon dont il se décrit. Ami d’enfance des poètes Ron Padgett et Ted Berrigan, il fréquentera l’ensemble des poètes de l’École de New-York, dessinant parfois leurs affiches ou illustrant leurs livres. Encouragé par eux, il commencera à publier des textes parallèlement à son travail visuel, puis finira par délaisser ce dernier. La majeure partie des écrits présents dans ce livre sont tirés de ses journaux, où il cherchait à pratiquer une écriture « qui essaye d’être honnête » – selon ses propres mots –, ne cachant rien de ses états d’âme. Des passages correspondent parfois à des temps délimités (long voyage en car, séjour dans une autre ville…). L’idée que ses journaux seront publiés est présente chez lui dès leur écriture. Brainard y dépasse le simple témoignage d’un microcosme, par l’agencement de phrases simples (pas de recherche de vocabulaire complexe, de métaphores) qu’il met en œuvre (jeux d’échos, ellipses temporelles, digressions, jeux sur les temps de conjugaison). En marge du journal, quelques portraits de ses proches sont l’occasion de s’attarder sur eux plus en détail que dans le flux du journal. Un texte comme Vers une vie meilleure, prenant la forme d’instruction au lecteur, flirte avec l’Event Fluxus. Différent aussi du reste, le texte au nom explicite de Dix natures mortes imaginaires, explore l’ekphrasis. Une interview, ainsi qu’une riche postface de Vincent Broqua, viennent compléter l’ensemble.




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Journaux, exercices et autoportraits
Traduction de Martin Richet
Postface de Vincent Broqua
Joca Seria
280 p., 25,00 €
couverture