par Antoine Emaz
On peut penser au De rerum natura de Lucrèce, c’est-à-dire une poésie philosophique visant à une connaissance du monde. Mais là où Lucrèce propose une réflexion fondée sur l’observation directe de la nature, Courtois, XXIe siècle oblige, passe par une documentation et la médiation de savoirs scientifiques spécialisés les plus divers (physique, chimie, biologie, sciences naturelles…). « Les microparticules plastiques cinq fois plus nombreuses que le plancton tuent par sacs indestructibles délavés créateurs conséquents en bout de chaîne d’homonymie alimentaire pour tortues marines en devenant malheur blanc. La soudure vingt vingt-et-unième siècle a préféré la défécation non dégradable à l’amour transglobal ubiquite. » L’enjeu aussi s’est déplacé ; s’il s’agit toujours de comprendre notre monde, il n’y a pas chez Lucrèce d’alarme à la perspective proche d’en voir la fin alors que chez Courtois, l’urgence écologique est un élément décisif. Par ailleurs, chez Lucrèce l’emploi du vers relève du code formel, un peu comme l’alexandrin dans la tragédie classique, même si cela n’interdit pas, chez les plus grands comme Lucrèce ou Racine, une vraie poésie de surcroît. Dans les Théorèmes de la nature, c’est différent, l’écriture poétique prend une part active, essentielle, à la saisie de l’enjeu ; chaque poème en prose n’est pas réductible à une sorte de duplicata ou commentaire du « document » qui est à son origine, non plus qu’à un pur et simple message d’engagement écologique nécessaire. Le poème invente un espace où l’écologie, le politique et la langue avancent ensemble, sans qu’un élément prenne le pas sur l’autre, sans qu’il soit même possible de les séparer. Reste donc pour le lecteur la difficulté d’éviter une double simplification : rabattre le poème sur le document et le diagnostic écologique qu’il porte, ou bien rabattre le poème sur son écriture spécifique, et perdre de vue la portée proprement politique du livre. Il faut s’en tenir à cette ligne de crête – ce n’est pas une question d’équilibre – sur laquelle Courtois avance superbement au cours de ces 141 poèmes.
Formellement, le petit livre Descriptions poursuit dans la même veine : c’est une suite de sept poèmes-pages, en prose d’un seul paragraphe. On remarque une plus grande fréquence de poèmes en prose flux, non ponctuée sinon la majuscule initiale et le point final. Mais, comme certains « théorèmes », le dernier poème est d’une seule phrase courte, compacte : « La ville est une image veut dire qu’elle est à peine regardée. » Cette question de l’image était présente dans Théorèmes (photo, écran…) ; elle devient ici centrale et semble indiquer un déplacement du cœur de la réflexion, de l’écologie vers une interrogation globale sur l’art et la représentation. Amorce d’un prochain livre ?
Walden n press
8 p., hors commerce