Jean-Claude Lebensztejn : Kafka, Sade, Lautréamont – rêve déchiré

 
par Jérôme Duwa

Livre « détraqué », haché (mais alors à grands coups dans « la mer gelée en nous »), parce qu’il est tout entier né au beau milieu de nuits visitées par un trio d’écrivains déstabilisants : Kafka, Sade, Lautréamont. Peut-être que ces trois-là, qui n’ont pas craint de se frotter à ce que la contradiction a de renversant, appellent-ils plus que d’autres la texture cahotante des rêves ?
Le fait est que leurs textes ne sont pas tout à fait fermement établis ; leur monument, quoique célébré, demeure chancelant du point de vue de l’histoire littéraire, ce qui laisse la porte ouverte aux commentaires philologiques, aux notes digressives sur la ponctuation, aux évasions réflexives sur la vengeance en littérature ou la « divine pédérastie ».
Que de ratures chez Kafka, à l’infini. Que d’excès volcaniques chez Sade où tout s’enflamme dans la nature pour un « massacre universel ». Que de circulations complexes entre Ducasse-Lautréamont-Maldoror.
La singularité de ce livre à la fois essai et journal de lectures tient pour partie à son ton qualifié par l’auteur lui-même de « rompu, féroce, intime, indigne ». Dire qu’à la première lecture nous tenons clairement le fil directeur de l’ouvrage serait présomptueux.
Toutefois, on est embarqué par cette errance du début à la fin, par ces notations et ces relevés, comme par les illustrations incongrues dont la plus étonnante est peut-être celle ouvrant le livre. Elle montre deux officiers prussiens se saluant ; chacun d’eux est casqué et porte ses armes aux côtés mais, pour le reste, ils sont ridiculement nus. Ce choc entre le sérieux réglementaire de la fonction militaire et la nudité fait éclater un rire qui nous prépare au mieux aux considérations kafkaïennes qui suivent : nous voilà installés dans cette inconfortable posture de « l’infiniment sale » (Kafka). L’impureté est aussi en jeu dans le conte de Kafka, quelques feuillets adjoints au livre, et proposés dans une traduction inédite : « Un croisement » entre un chat et un agneau.
Les insomnies de Lebensztejn engendrent de beaux monstres.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Les Presses du réel
« Fama »
144 p., 18,00 €
couverture