François Bordes : Cosa

 
par Étienne Faure

À la faveur d’un format paysage – à l’italienne –, de très incisifs dessins d’Ann Loubert viennent ponctuer le cheminement du dernier recueil de François Bordes, Cosa. Un cheminement introduit par une lecture d’Emmanuelle Guattari, puis par une forme de préambule, d’entrée en souvenance et en matière « dans les décombres de la mémoire » qui réveille « le fantôme d’une histoire / l’ombre / d’une / légende ».
Remémorée, la chose qui se délie à l’adresse de cosa, cherche un dénouement, un apaisement peut-être, évolue par strates d’évocations, progresse en quatorze moments – ou plutôt étapes - qui organisent ce recueil. Les vers, dont l’absence de ponctuation accélère la fluidité, se succèdent en longues enjambées ou petits pas plus syncopés, comme pour reprendre un souffle, contenir l’émotion : « contourner les obstacles les palissades les murs / la nuit s’offrait / splendide et grave ».
Où aller ? « il vaut mieux tout quitter / ou partir sur les routes / fuir aux bibliothèques ». Car « les verbes du départ se bousculent / question de survie sans appel ni retour ni remords / déliaison ». Détresse et perdition au bord d’un gouffre, d’une béance – aussi bien nommée blessure ou folie –, tel est le terrible risque que prend François Bordes en déambulant, funambule, dans cette évocation, au péril de son propre dessein – ou son échec : « notre époque s’achevait / la suite de l’histoire / dois-je la raconter ».
Contre la mémoire qui taraude et qui lie, trouver dans ces mots les moyens d’une « déliaison » : voilà l’aspiration alors du poète – également historien... « Oublier est divin, oui, oublier – et revenir au monde » assène-t-il à la presque clôture du recueil. D’une grande blessure, c’est de cela qu’on sort, lecture faite, sans qu’il soit sûr qu’elle soit refermée : longtemps après le froid et le désarroi durent. Cette peine à en sortir jusqu’au bout insiste. Il faut au poète se tourner résolument vers les airs – soleil, ciel, envol et cette chute de la feuille finalement détachée, emportée par le courant, tels des sanglots. Dans un déroulé ample, les dernières phrases, non plus les vers, apportent la résonance, un long point d’orgue à ce recueil superbe. La force des dessins y rencontre celle des textes.




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L’Atelier contemporain
80 p., 15,00 €
couverture