par Jérôme Duwa
À 57 ans, après presque 20 années passées dans les camps ou en l’exil, Varlam Chalamov (1907-1982) estime avoir été soustrait au temps commun : la Kolyma est un autre monde, où l’expérience « souterraine » qu’on y acquiert est parfaitement inutile dans la vie ordinaire. « Là-bas », comme il l’écrit dans ses sobres et bouleversants Fragments de mes vies, la poésie s’offre comme une occasion très rare, à l’instar de ce livre d’un poète oublié, trouvé par hasard dans une maison abandonnée et que trois amis se partagent : la préface devient papier à cigarette, la postface jeu de cartes, tandis que le cœur du recueil revient en partage à Chalamov qui en goûte tout le prix.
Quel est le paysage mental de cet homme du Nord ? Un monde de taïga au printemps toujours convalescent, où il n’y a rien d’autre à faire que contempler la glace et écouter le vieil Homère aux gencives sanglantes psalmodier son chant, « Tout fureur et patience ».
Cette formule convient pour le vieil aède tout autant qu’à l’auteur des Récits de la Kolyma dont les mots écrits jour et nuit, dès qu’il le pouvait, sont semblables aux hurlements familiers du loup : un « chant nocturne » qui ne laisse aucun repos « Ni dans le rêve, ni dans la réalité ».
Nouvelle édition augmentée de 34 poèmes inédits en français
Maurice Nadeau
152 p., 17,00 €