Daniel Wilhem : Chien de lisard

 
par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

« Réponds-moi sans mentir, si tu le peux, chien de lisard ; d’où connais-tu Mme de Rênal, quand lui as-tu parlé ? » Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830).

Outre d’aboyer, le chien renifle. Il est même réputé pour son flair à l’aide duquel il lève des pistes, mène son enquête et n’en démord pas. Et à force de persévérance il n’est pas exclu qu’il se mette un jour à lire à l’instar de Daniel Wilhem pour qui lire revient d’abord à relier à distance et opérer toutes sortes de recoupements qui restaient insoupçonnées dans les Annales littéraires. Pour ce faire, le lisard qu’il est, et qui se double d’un fin limier, n’hésite pas à recourir à un mode de lecture qu’on dira « micrologique » et qui privilégie les détails (parfois révélateurs), les motifs (souvent indiciels), tout comme les notes et les anecdotes (tout ce rebut que nous livrent les journaux et les correspondances de nombre d’écrivains), et qui sont autant d’indices de vie, mais d’une vie qui reste toutefois invérifiable.

Certes, « des faits sont là, des événements ont lieu, les témoignages abondent, les témoins voltigent ». Au cours de ses nuits de veille Proust recevait bien la visite de toutes sortes de personnages et qui s’avéraient comme les doublures parfois grotesques des personnes qu’il avait coutume de fréquenter. Mais ils ont beau le hanter et faire figure de revenants, « rien ne prouve que ce qui fait retour avec eux est bien ce qui avait disparu ». Même « les récits de vie, quand ils sont de bonne foi, restent improbables », voire frauduleux. Tout reste sujet à caution et peu digne de créance lorsqu’on s’aventure dans les arcanes de la littérature. Et notre lisard n’en disconvient pas, encore qu’il persiste à dire que fabuler est la seul issue, que seule la mystification permet de dire et soutenir l’entière vérité. À l’entendre, tout porte même à croire qu’un sixième sens le guide en l’affaire, et qui l’amène à évoluer librement en pleine fiction. D’ailleurs il suffit qu’il croise un de ses écrivains de prédilection pour qu’aussitôt il le transfigure en un personnage plus que douteux et qui, de toute évidence, s’avance masqué comme le préconisait d’ores et déjà Descartes.

Rien que pour le plaisir qu’ils vous procurent, j’ai dû en retenir quelques-uns pour leur causticité, signe qu’ils ne sont en rien dupes de leurs manies et manigances, vu que tout n’est que jeu, faux-fuyants et portes dérobées dès qu’on pactise avec sa propre fiction.

À commencer par Gide qui tenait Valéry pour un monstre « quand il prétend qu’on peut dissimuler un vide et survivre par des phrases. » 

Précédé par Léon-Paul Fargue qui avait déniché à l’attention de ce même Valéry un « Monsieur Teste » en costume de motard, dûment signalé dans les annales sportives de l’année 1894 pour avoir gagné en 51 heures le Tour de France en motocycles.

Suivi par Giraudoux qui prétend dans son livre La France sentimentale que « tous les Limousins, en mourant, tournent la tête du côté droit ». Et quel lecteur pourrait mettre en doute sa bonne foi quand il affirme, dans le même livre, que « les animaux sont sortis de l’Arche, nullement en pagaille, comme le rapportent les médisants, mais par ordre alphabétique » ?

Sans oublier Raymond Roussel qui raffolait du théâtre de boulevard, mais « maudissait le sans-gêne de ses acteurs qui se sentaient tenus de paraître sur scène en sous-vêtements ».

La liste est loin d’être close, et le lecteur trouvera même un index des auteurs et des citations en fin d’un livre qui se veut une visite guidée dans les coulisses d’un espace qu’on dit littéraire et où tout n’est que pure invention.




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Furor
268 p., 20,00 €
couverture