Cédric Demangeot : Un enfer

 
par Ludovic Degroote

L’enfer ne prend son sens qu’en opposition à un paradis, mais chez Cédric Demangeot, il n’y a pas de place, même rêvée ou fantasmée, pour ce dernier. Ce n’est pas que l’enfer se suffise à lui-même, c’est qu’il n’offre aucune échappatoire, aucune solution de repli ; le poème n’est donc pas là pour en sortir ou proposer un contrepoint mais pour l’exprimer, jusque dans son impuissance : « (...) voici / le poème aujourd’hui / tel qu’encore / on peut-être le / peut – contre un monde à foutre / aux ordures demain matin. » Révélation sans métaphysique et sans transcendance, il épouse la réalité dès lors qu’elle arrive à la vie, c’est-à-dire à une humanité, non dans le sens de la générosité mais d’une essence à laquelle elle ne peut échapper par le fait de la naissance. On notera cependant que l’emploi du déterminant indéfini au titre semble modérer ce qui appartient au regard de l’auteur : Un enfer. La plupart des titres des poèmes sont révélateurs de cette vision plus négative que nihiliste, par exemple Obstruction d’origine, D’un désarroi : lambeaux, Dessine-moi un enfer, Un ciel de latrines. Les poèmes sont majoritairement organisés en séquences courtes – dominante de deux ou trois vers –, qui visent à se démembrer, dans le vers ou la syntaxe, parfois même dans le mot, à l’image de cette réalité que dominent la violence et l’aliénation : « Mort / ellement   jour / & nuit     quelqu’ / un // dit le fou-de-faim danse, danse de / rien : // (...) » ; « boire, // comme si le corps n’avait / pas de fond, // comme on sent bien / qu’il n’en a pas     – boire // jusqu’à la dernière goutte la / barrique d’horrible b // ière, // : hier » (La chopine de Schopenhauer, titre savoureux, p. 153). Les figures de l’enfant et de la mère (ou des parents) sont récurrentes, celle-ci donnant la vie, imposant donc l’enfer-mement, à celui-là qui ne pourra que reproduire ce qu’il a subi. Ce lyrisme d’un désespoir qui semble chanter le suicide ou la mort trouve peut-être dans la contradiction systématique de vivre ce chant une limite pour le lecteur, comme si le poème travaillait ici et là à son asphyxie, par ses ruptures ou ses images, ou même son dépassement épique. Jugement relatif et bien évidemment discutable.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Flammarion
« Poésie »
304 p., 19,00 €
couverture