Alexis Pelletier : Trois entraînements à la lumière

 
par Christian Travaux

Trois parties. Trois entraînements. Le nouveau livre d’Alexis Pelletier est résolument en trois pans, trois volets, fort différents.

« De la lumière », la partie I, écrite en alexandrins, en longues séquences réflexives, de 2009 à 2014, est la partie la plus courte. Pelletier s’y essaie au langage, y tâtonne, y teste sa voix, en interrogeant la lumière. Non pas seulement l’objet « lumière », dont il traque la trace partout, dans la page où des références – Lucrèce, Guillevic, Carpaccio, Monteverdi, ou Reverdy – en font bifurquer la pensée, la mettent en jeu. Mais aussi le mot, ou les mots, qu’il interroge en même temps, ou inspecte, suspecte, soupèse, et évalue. Le mot « lumière », le mot « photons », le mot « intime », le mot « élucubration », « célébration ». Tout un atelier d’écriture qui s’étale, se donne à voir, comme une quête, comme une enquête policière face au langage. La même suspicion que l’on trouve chez James Sacré ou Francis Ponge, la même critique face au langage – fatras – ou devant la mémoire – grande foire, dit Pelletier. Et un entraînement à coup sûr, un essai de voix, ou de foi dans les mots, pour tenter d’apprendre ce qu’est la lumière, à l’orée de toute expression, tout langage, toute vie, et toute émotion.

Avec « Astreinte », la partie II, Pelletier change radicalement. Fini le vers ou le langage suspecté de ne pas parvenir à exprimer ou à parler. C’est la voix, cette fois, qui s’expose, ou qui explose. Un monologue théâtral, lancé par « la voix », d’un personnage nommé Glèb, et qui parle pour ne plus cesser, qui déblatère. Des pauses réflexives souvent, notées par des didascalies, fort nombreuses, quelquefois gênantes et un peu artificielles. Mais une voix, une voix qui se dit, et qui s’avoue, et qui s’exprime, dans ses doutes, ses confidences, où l’enchaînement automatique du langage se fait principe, et ligne directrice des mots, conduite et sens. Cette fois, ce n’est pas le langage qu’on suspecte. C’est lui qui dicte, qui gouverne, qui mène la danse. On se laisse suivre, ou mener, ou submerger par ce langage qui déborde, qui fait retour, revient sur ses pas, et repart, et cherche dans toutes les directions où est la sortie, la lumière, la lumière verte de la sortie.

La troisième partie « Ce qui vient », d’abord appelée « De ce qui vient », et reprise en 2014, mais élaborée dès l’automne 1997, est sans aucun doute la plus trouble, la plus complexe. Une voix s’y essaie, et s’y brise. Un langage s’y élabore, qui bute sur les mots, et se casse en cascades de vers, en masses de prose subitement arrêtées, interrompues, et relancées aussitôt après. Pas de phrases, de ponctuation. Une longue ligne qui se déroule, que l’on suit, dont on suit le fil, et que l’on perd ou qui se perd dans les méandres du langage. La lumière est cachée dedans, et l’origine de la lumière, introuvable décidément. Ou incernable. Indiscernable, tant la voix, les mots, le langage, font obstacle, font dissidence. Il n’y a qu’à attendre l’épuisement du langage pour que tout cesse de ce jeu d’essais, d’entraînements, tout s’apaise, renonce à être, ou décide d’enfin vivre avec les noms et les mots sans abri. Trois entraînements à la lumière est un livre expérimental, ou plutôt le laboratoire d’une langue qui s’essaie à dire, sans se dire, tout en se disant, qui se refuse à être dupe du langage dont, pourtant, il use. Il est un ouvrage hors-livre, hors-langage dans le langage, résolument apoétique.

En cela, il frôle le poème comme une matière à renifler, deviner, essayer peut-être, approcher, regarder de loin, tout en s’y installant de fait.

Il est masque. Il est langage.




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Tarabuste
« Doute B.A.T. »
172 p., 15,00 €
couverture