Nouvelles revues

 
par Alain Cressan

Trois revues pour trois manières différentes d’élaborer ou de questionner un rapport au collectif.

Patriotisme

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Patriotisme : le titre, comme la charte graphique bleu-blanc-rouge, joue sur l’ironie. Cette dernière est difficile à situer, car – figure de l’implicite – elle suppose une connivence entre les parties. Ici, les trois jeunes rédacteurs sont anonymes, l’un des objectifs étant de brouiller les cartes, semble-t-il. On repérera diverses influences dans l’écriture, allant d’un symbolisme fin-de-siècle à une esthétique un peu « années 80 », entre autres. On saisit qu’il s’agit d’un espace de travail, d’un lieu de l’en-cours, encore jeune, qui expérimente un rapport à l’écrit, à sa diffusion et donne son intérêt à l’entreprise.

RIP Revue critique et clinique de poésie

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Par sa mise en page et son système de renvois complexes (numérotations, renvois de pages pour retrouver l’ensemble d’un texte fragmenté et son auteur), RIP est une revue dirigée par Antoine Dufeu et Frank Smith que n’aurait probablement pas reniée Pierre Bayle. On retrouve d’ailleurs un aspect lexicographique dans les nombreuses définitions lissées (l’exemple est mis au même niveau que le corps de la définition) qui parsèment perpendiculairement le volume. Revue collective et d’un quasi-anonymat : les noms des auteurs sont cachés sous le rabat de couverture (avec l’indication des pages où ils interviennent). Comme Glas de Derrida ou encore le Rembrandt de Genet, le texte se lit sur plusieurs colonnes : l’ensemble des textes est fragmenté, tisse des liens, des ruptures, créant un hypertexte commun. L’objet est intrigant, très beau dans sa mise en page, déroutant. Il questionne notre rapport au texte, au média, au monde, à la notion d’auteur, de collectif. « Poésie va pas tous mourir » est le titre de l’ensemble et donne une idée générale : travail de la langue, de la phrase, diffraction polysémique du poétique, du littéraire : « La phrase n’aurait pas de fin ni de commencement. » Difficile de rendre compte d’une telle lecture, simplement en conseiller l’expérience, ce qu’elle provoque, parce qu’elle en vaut le coup.

L’entretien

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L’entretien suppose un rapport à l’autre. La revue est constituée essentiellement d’entretiens effectués par Laure Adler et Alain Veinstein pour France Culture1, souvent complétés par une entrevue complémentaire. Comme si la conversation avait continué par-delà les émissions. Revue sur un genre, car « l’entretien est un genre, en effet, au même titre que l’essai », remarque Yves Bonnefoy. Il suppose un rapport duel, mais aussi de transmission de la parole, de mise au clair pour des tiers, et de ce point de vue, cette entreprise est salutaire, en ce qu’elle permet un abord, voire une reprise de contact, avec des auteurs, des regards qui nous ont échappé (que nous n’avions pas vus, que nous avions perdus) : « Il faut savoir flâner […], être un peu bricoleur et au gré des rencontres, des lectures, se construire une pensée du hasard » (Fabienne Brugère – je souligne). António Lobo Antunes propose ainsi une esquisse de définition intéressante de ce genre parallèle : « Vous et moi, dans nos entretiens, nous avons toujours parlé à côté, pour être plus fortement à l’intérieur. » Cette question du nous, du collectif est aussi au centre du dialogue avec Bernard Noël : « Je me demande si on peut encore écrire un Nous aujourd’hui. »




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Patriotisme
N° 1
128 p., 20,00 €
RIP Revue critique et clinique de poésie
N° 1.1
« Poésie va pas tous mourir »
Lic
238 p., 15,00 €
L’entretien
N° 01
Éditions du sous-sol
256 p., 25,00 €

1. Ainsi que d’un cahier iconographique en fin de volume. Ici, des dessins de Claude Royet-Journoud.