Chloé Delaume : Les sorcières de la République

 
par Létitia Mouze

Ce roman foisonnant puise aux mêmes sources que les « autofictions » de leur auteur : la scène de cuisine tragique de la fin est une transposition du drame familial raconté dans le Cri du Sablier. Cette œuvre d’anticipation dystopique (on est en 2062) a des accents politiques militants. Chloé Delaume imagine le procès d’une Sybille, fondatrice d’un « Parti du Cercle » dont la représentante, Elisabeth Ambrose, a gagné les élections présidentielles de 2017 et instauré une République dotée d’une nouvelle constitution féministe dont la devise est Liberté, Parité, Sororité. Ce basculement politique ayant été à l’origine d’événements sanglants, une loi d’amnésie a été votée en 2020, effaçant ces trois années de toutes les mémoires : c’est le « Grand Blanc », qui recouvre un « grand rouge » dont la Sybille est tenue pour responsable. Lors de son procès, celle-ci fait le récit des origines de ces trois années tragiques en remontant aux dieux, et plus particulièrement aux déesses, grecs, et à sa propre histoire personnelle de prophétesse issue d’un viol, demi-sœur et inspiratrice du poète Hésiode à qui elle a dicté sa Théogonie. Sur le mode ironique, ce roman expérimental mêle différents registres d’écriture : aux mails en langage chébran échangés entre
« jesus-christ.superstar@royaumedescieux.org »
et « artemis.delolympe@gmail.com »
succèdent des conversations téléphoniques en alexandrins façon Racine (grande référence delaumienne) entre les déesses de l’Olympe (« Quoi ? Tandis que Bruxelles s’abandonne au sommeil, / Faut-il que vous, vous veniez encore me parler d’oseille ? » s’exclame Athéna). Le texte est, comme toujours chez Chloé Delaume, truffé d’allusions littéraires, mais aussi politiques (un des derniers chapitres s’intitule : « Le nouveau commencement, c’est maintenant »). L’intertexte constant avec les grandes œuvres classiques – doublé d’un jeu permanent avec la langue, les slogans, les codes langagiers modernes – fait tout le plaisir de la lecture de ce roman féroce.




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roman
Seuil
« Fiction & Cie »
360 p., 20,00 €
couverture