Laura Vazquez : Oui.

 
par Jean-Pierre Bobillot

« on finit toujours par croire qu’on a compris quelque chose / on finit toujours par croire qu’on vient de comprendre quelque chose » ou : on veut avoir compris… c’est en quelque sorte ce qui se passe à chaque page d’un livre quand on le lit, de ce livre mais peut-être de n’importe lequel, ou à chaque pas de la vie quand on la vit, de sa vie mais peut-être de n’importe laquelle : « on a l’impression d’avoir compris quelque chose / on a compris // on a compris quoi » : on a compris quoi ? ou (et) : on a compris, quoi !
Qui a, fût-ce une fois, vu-et-entendu un poète, elle ou peut-être n’importe lequel, lire ses textes, de préférence en public1, l’a compris : « Se méprendre sur le rythme d’une phrase, c’est se méprendre sur le sens même de la phrase. » C’est au lecteur de livres, solitaire et généralement silencieux, que pensait Nietzsche écrivant cela2 : au lecteur donc, ici, de ne pas se méprendre sur le rythme de chaque phrase, vers, ou mot. C’est, comme disait Mallarmé, une pratique : « on pense que la mémoire est dans le cerveau / un jour / on voit la mémoire dans les gestes ».

Sans garantie… : cette section du recueil, intitulée cerveau, se termine par : « je n’ai pas compris ». La première, chimpanzé, commence par : « je tue les cadavres / c’est plus facile » ; la dernière, fœtus (on s’y attendait presque : « on a compris » !), se termine par : « Vous êtes n’importe qui / Vous dites / Bonjour je suis le fantôme de tout le monde ». Le livre regorge de ces notations, au premier abord obscures ou seulement déroutantes, mais qu’on sent obscurément si vraies, qu’elles vous hantent, qu’elles deviennent vous, votre cerveau, le chimpanzé en vous, vos gestes, votre crâne, le crâne dans votre crâne3 : « on a l’impression d’avoir compris quelque chose » ou : qu’on va comprendre, qu’on est en train de comprendre.
Oui. (le titre) et « Oui. » (p. 17) sont les seules occurrences d’un mot, ou d’un vers, suivi d’un point. Les premiers paragraphes de fœtus le sont. Plusieurs vers, d’un point d’interrogation. Et c’est tout : « j’ai pensé » : ce n’est pas rien.




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Plaine page
« Les Oublies »
88 p., 5,00 €
couverture

1. Voir par exemple, à défaut, sa lecture des p. 28-29, « la maison tombe lentement… ».

2. Par-delà le bien et le mal § 246. Phrase, que devait bientôt compléter Hugo Ball, qui avait beaucoup lu Nietzsche, notant dans son journal : « J’ai fait de la lecture à haute voix le critère de qualité pour un poème » etc. (La fuite hors du temps, 2 mars 1916.)

3. Cf. crâne : « peut-être que si on s’ouvre la tête on comprend ce qui se passe / on s’ouvre la tête / on s’ouvre la bouche / l’oreille avec un petit marteau / ça se passe mal / ça va commencer /// j’y pense »…