par Andrea Franzoni
La page du peuple
On réfléchit ici sur la relation entre être et représentation. Objet : le peuple. Peuple comme groupe d’individus appartenant à la même espèce et participant – par la dimension sociale – des mêmes histoires et des mêmes formes d’historicisation, d’expression et de figuration de soi. Un premier excursus philosophique pour décrire les différentes approches des « économies de l’émotion » : d’Aristote à Deleuze, du pathos passif et immobilisant à « l’affect effectif », qui émeut, qui pousse le silence du chagrin vers un dehors (ex-movere) collectif, où le logos-pathos sera pris dans la dialectique des formes trans-individuelles et de leurs différents montages. Une longue critique, ensuite, de la réflexion barthésienne sur le réalisme et le pathétisme dans le Cuirassé Potemkine, critique qui évolue, page après page, se transforme en encyclopédie sensible par associations thématiques étroites : du motif « émotif » principal (les pleureuses d’Odessa) aux enjeux éthiques et politiques du montage eisensteinien, jusqu’à découvrir une toute autre réalité, interne, derrière l’écran, où le travail du cinéaste – centre thématique de ce volume – apparaît à la lumière d’un jeu très articulé de psychotechniques, arrière-fonds mystiques, psychologies, pédagogies et politiques de l’image. Travail qui vise, par une « mémoire émotionnelle », à la formation d’un public, à la création d’une praxis, à la production d’un temps où l’image, s’approfondissant elle-même, montrant son fond, soit capable de restituer à l’œil sa puissance créatrice, qui est puissance mnésique et donc productrice d’actualité, soit, de réalisme. Des larmes, comme l’indique le titre, aux armes.
Nous nous trouvons donc aujourd’hui devant deux tronçons de réalisme : un réalisme de la profondeur, socialiste de structure, mais bourgeois de forme, et un réalisme de surface, libre de forme mais apolitique, donc bourgeois de structure.1
Reste à déterminer, sur un plan critique, à quel type de réalisme – de représentation – se conforme cette étude : quel est l’idéal philosophique qui fait que ‘la rage du peuple’ soit tenue pour objet, thème, élément formel d’une analyse iconographique multidisciplinaire.
