Jean-François Bory : Abracadada

 
par Jean-Pierre Bobillot

Donc, plus abracadadantesque qu’abracadabrantesque, même si plus ptyx1 que styx ! Même si, chronologie oblige, d’abord tumb-tumbesque et seulement ensuite boum-boumesque : Futurisme et Dada, dont la remise en lumière – et en travail – fut (dans un contexte autre) l’un des chantiers majeurs de L’Humidité, sa pionnière revue des années 70, aujourd’hui historique, elle aussi2.

Non, certes, par nostalgie. Tant il est devenu (a toujours été ?) clair qu’avantgardismes ou totalitarismes… « les uns – hélas – n’allaient / pas sans les autres » : « avantgardismestotalitarismes ». D’où, ce savoureux montage / démontage à la Heartfield (mais un Heartfield dégrisé, après Yalta, glasnost ou chute du Mur) : « Là, au bout du môle, les voilà : […] Hitler en civil et Maïakovski brandissant sa désuète carte du parti communiste […], Mikhail Larionov et Natalia Gontcharova tenant en laisse la chienne Laïka. » Hommage, dommages inclus…

Surtout : réceptacle du Verbe, le Livre, ayant coulé au cœur de marbre blanc de son « calme bloc » toute la noire aspérité des lettres, tracées ou imprimées, de l’écriture, dont il s’est fait le tabernacle, n’a plus qu’une issue : se fendre et multiplier3 en lettres ivres (tel Le Bateau Rimbaud), enfin libres d’aller, seules ou en chœur, où et comme ça leur « chante »4… parmi, entre ou Hors les livres, vagantes, voYantes, bRuYantes, tournoYantes, « ZigZagantes », Hors les lignes, Hors les mots : iRRécupérables, dans tous les sens, littéralement

Continuité dans le provisoire : « tout ce qui brûle dans les flammes / est encore préSent dans les flammes », et l’« ode » jusque dans l’« odeur »5… Le concevoir est « un état d’esprit » (celui que définissait Janco6 : « Dada subsiste et subsistera aussi longtemps que la négation contiendra le ferment de l’avenir. ») « L’auteur » se littéralise en dadaçiva tournant de livre en livre la roue de lettres à rebours de l’Être : « revoici Abracadada toujours vif et d’actualité. » Ainsi, Tzara appelait-il à « rétablir la roue féconde d’un cirque universel dans les puissances réelles et la fantaisie de chaque individu. »7




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Librairie l’Iris Noir
48 p., pas de prix indiqué
couverture

1. Voir, du même, Un hiver près des ptyx, Spectres familiers, 2015. Abracadada fut d’abord publié à l’occasion du centenaire du Coup de dés de (justement…) Mallarmé (1997 : « Un siècle pour / Pour QuoI ? »)

2. Voir réédition intégrale, Al Dante (… justement), 2012. On y voyait déjà, pleine page (n°1), une fameuse photo de « Tzara monocle à l’œil », comme on le lit dans Un hiver

3. … telle la paramécie, car : si « le mot, qu’on le sache, est un être vivant », les lettres sont un grouillement infini de protozoaires, et le Livre en est le tombeau.

4. Voir François Dufrêne : « le lyrisme, c’est CE QUI NOUS CHANTE » – « lyrisme typographique », comme disait Apollinaire, en l’occurrence…

5. Ou, à rebours : le monocellulaire odeur donne par scissiparité ode + ur

6. Cité par Arturo Schwarz, « Dada : Mouvement en mouvement », L’Humidité n°3.

7. Manifeste dada 1918. Voir Bory, dans L’Humidité n°8 : « Alors, me direz-vous, on tourne en rond. Mais oui, mon bon ami, c’est comme les planètes. »