Genet et les arts

 
par Didier Arnaudet

« Qu’est-ce qu’un exclu de la société, un paria, un enfant de l’Assistance publique dont la scolarité s’achève au certificat d’études primaires, peut-il bien connaître à l’art ? » À cette interrogation, Agnès Vannouvong apporte des éléments de réponse dans ce Genet et les arts qui rassemble les contributions d’écrivains, metteurs en scène, artistes et universitaires. Ils ont été réunis lors d’un colloque international qui s’est tenu à l’École normale supérieure et à l’Institut du monde arabe, en 2010, année du centenaire de la naissance de cet artiste total qui a donné à l’acte créatif de multiples déflagrations. Car l’écriture de Jean Genet est loin d’être réductible au roman, au théâtre et à l’essai. Elle s’ouvre aussi au cinéma, à la critique d’art et à la pratique du dessin. L’esthétique de l’auteur de L’Atelier d’Alberto Giacometti et Le Secret de Rembrandt « implique un rapport au monde, une subjectivité qui met en exergue la question du sujet et du visible » selon la responsable de cet ouvrage. Jean Genet accorde une importance extrême au sensible dans sa capacité de perception. Son écriture se développe selon un double mouvement. D’une part, celui d’une respiration qui exprime cette relation immédiate au monde où l’éclat particulier des mots apporte une formulation poétique fortement communicative. D’autre part, une qualité de transformation du réel par le langage où les mots produisent des éclairages vertigineux. Ce double mouvement s’enclenche à partir de sensations, d’émotions, de représentations réelles ou imaginaires, mais toujours chargées de significations objectives ou subjectives. Il est avant tout poète : « Par l’écriture, j’ai obtenu ce que je cherchais. Ce qui, m’étant un enseignement, me guidera, ce n’est pas ce que j’ai vécu mais le ton sur lequel je le rapporte. Non les anecdotes mais l’œuvre d’art. Non ma vie, mais son interprétation. C’est ce que m’offre le langage pour l’évoquer, pour parler d’elle, la traduire : réussir ma légende. » Ce qui fait la puissance de son chant, son ampleur aussi bien corrosive que critique, sa réverbération émotionnelle enfin, c’est d’avoir été arraché tout vif à une réalité transfigurée. Jean Genet nous entraîne dans une matière à la fois obscure et resplendissante. Il la désigne comme le refus de toute attache et puise, dans cette indiscutable liberté, cette parole poétique qui ne cède pas à la mesure et à la mise en ordre, pour s’exacerber au contact de l’intime, du sexuel et du politique. Chez lui, la beauté procède de la trahison, de l’infamie et de l’abjection, et nous amène à voir ce qui nous dérange, et notre part de compromission dans ce sordide que nous avons rendu possible. Jean Genet nous engage ainsi à une profonde liquidation : « Tout roman, poème, tableau, musique, qui ne se détruit pas, je veux dire qui ne se construit pas comme un jeu de massacre dont il serait l’une des têtes, est une imposture. »1




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Sous la direction de Agnès Vannouvong
Les Presses du réel
192 p., 20,00 €
couverture

1. Également paru ce semestre : Jean Genet, L’Échappée belle, Mucem / Gallimard, et Jean Genet : Quatre heures à Chatila (traduction en arabe), Librairie des Colonnes, Tanger.