Forough Farrokhzad : Poèmes 1954-1967

 
par Christian Travaux

Une flamme. Un oiseau dans sa cage. Une fleur dans une roseraie. Un feu en flamme, qui se dit dans un souffle froid, incandescent. Ainsi de Foroug Farrokhzad, poétesse dont la courte vie (elle meurt dans un accident de voiture, à l’âge seulement de 32 ans), est à l’image de ses poèmes : irradiante, intense, et solaire. L’œuvre complète dans un volume de plus de 300 pages compte cinq recueils, dont le dernier inachevé. Et ces textes nous éblouissent, nous bouleversent, ravagent tout.

Toujours inspirés de sa vie, ces poèmes sont un feu clair, un obus, un éclat obscur, dans l’Iran des années 50. Qu’une femme, une jeune femme de 20 ans, dise l’amour et dise le désir qu’elle peut ressentir pour un homme était à peine imaginable. Une femme, en Iran, doit se taire, se soumettre, et taire ses désirs. Pourtant, Forough dit sa douleur de l’absence physique d’un homme, dit la chaleur de bras qui s’ouvrent, de regards qui s’entrecroisent et brûlent de s’aimer, dit le corps qui réclame le corps de l’autre, et le cherche dans un lit vide. Plus encore, elle dit le plaisir – dans un poème comme « Le Péché »1 – si célèbre et si scandaleux à son époque – qu’elle a connu avec un homme, faisant l’amour.

Elle est, bien sûr, nourrie des textes poétiques qui l’ont précédée. Hâfiz. Rûmi. Omar Khayyam. Elle en reprend, d’ailleurs, la langue par moments comme les images. Et toute sa versification est écrite dans leurs pas à eux, dans des strophes de quatre vers. Du moins, dans les premiers recueils. Car, très vite, elle s’émancipe. Elle quitte le terreau des hommes, de la langue faite pour les hommes, et cherche à dire – dans cette langue du farsi, qui est poésie – comment une femme peut désirer, peut aimer, peut appeler l’aimé, et le regretter, et l’attendre, l’agresser, s’agresser soi-même de n’être pas assez aimante, assez belle, pour cet absent.

La poésie, pour Farrokhzad, est donc soulagement de son cœur, et miroir de son visage. Elle est cris d’une âme affligée, feu, chaîne lourde, rideau de larmes, pour reprendre de ses images. Et l’amour, pour elle, est prison, péché, cage, maison délaissée, tant son âme est dans la souffrance, tant sa douleur est feu qui prend aux racines de tout son être. Ce faisant, Forough Farrokhzad fait de son cas particulier une image de la souffrance des femmes sur la terre iranienne. Elle dit d’ailleurs de ses poèmes qu’ils sont « flamme de sentiment » et ajoute qu’elle « souhaite l’émancipation des femmes iraniennes et l’égalité des droits des femmes et des hommes », étant « tout à fait consciente des souffrances de (ses) sœurs dans ce pays, causées par l’injustice des hommes ». Et déclare : « J’emploie mon art en partie pour exprimer leurs douleurs et leurs peines. »2

Ainsi, un poème n’est-il pas, pour Farrokzhad, simple épanchement de ses peines, mais lutte politique pour émanciper toutes les femmes de la tutelle masculine. Qu’elles disent, enfin, leur plaisir. Qu’elles montrent enfin tout leur désir d’un homme, ou d’un corps. Qu’elles soient leurs égales durant l’amour. Et qu’elles puissent, enfin, trouver une langue qui les exprime. Le vœu de Forough Farrokhzad n’est pas encore réalisé, loin s’en faut. Mais sa voix demeure comme une flamme incandescente, une étoile, un feu de langage.

Un brasier d’encre.




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Traduits du persan par Jalal Alavinia
Préface de Christian Jambet
Lettres Persanes
354 p., 25,00 €
couverture

1. Dans le recueil : Le Mur, 1955, p. 137-138.

2. Lettre citée dans la préface, p. 26.