par Nathalie Brillant
Trois points cardinaux d’Emmanuel Merle
Trois livrets chaudement habillés, trois haltes en deux fois trois années. Emmanuel Merle fait partie des habitués de pré#carré, de ces auteurs dont on savoure la fidélité généreuse jusqu’à la fabrication des couvertures peintes du volume de 2016.
Où poser l’oreille entre Boston et Cap Nord ? Sur quel pays, quelle toile, vers quelles couleurs glisser les doigts ? Au gré de quelle respiration, de quel souffle trembler des yeux ?
Emmanuel Merle ou l’embarquement immédiat, en terres langagières, là où le désir s’emporte, importe, prend racine.
La beauté pourrait tenir ici à un semblant de paysage. Luxuriance de l’ailleurs, rouge ou vert brûlé des déserts, des montagnes et des villes. Suivre la piste, les pas dans les étoiles, cap tendu aux extrémités du lointain, à l’attraction de l’inconnu. Parcourir les fleuves, se hisser dans les dunes, dévaler les rampes des ponts, onduler sur le lac glacé et s’échouer dans l’océan. Il y va de la largeur des horizons et des possibles, des fenêtres et des bras… Il y va d’un lyrisme tenu mais emportant, d’un élan solaire, grand ouvert.
Pourtant, le lieu d’Emmanuel Merle est aussi, surtout peut-être, un reflux, un souterrain, une grotte circonscrite, un trou de pierres, un glacier fendu. L’espace est dans la faille, le vrai monde n’est pas ailleurs, il scintille, rugueux, à toute heure des nuits, dans ses dessous et son possible effondrement. Oui, on pressent la tentation de l’arrière-pays et l’éloge de l’ombre : on se prend à creuser, dedans, profondément, pour être là, à nouer les absences. On le comprend, on l’éprouve : le réel gît et vibre dans la perte. Effacement du jeu et des images. Le silence fait son œuvre.
Alors restent les pierres, les bois brûlés, un peu de ciel, de brumes et de mots. Opaques et tangibles, d’ici et d’ailleurs, ils s’agencent et, tels une statuette solitaire de Giacometti, font figures, et de l’ombre au néant. L’impossible par à-coups fait surface. La mémoire craque. L’eau et les cris que l’on pensait figés comme une encre, échappent, ouvrent des voies dans les marées. Il y a les naissances aux ciseaux, il y a des morts et des vies.
Le poète et sa question marchent sur les falaises du désir et restent sans réponse. Mais pas sans lecture.