par Stéphanie Eligert
Voici un essai léger où l’écriture à la fois solennelle et fluide d’Alain Badiou glisse, au travers de courts chapitres, entre différentes facettes de la couleur noire – facettes métaphysique, sociale, politique bien sûr, mais aussi autobiographique. Sur ce plan, le « philosophe maoïste » livre quelques pans de son enfance, non sans une discrète insolence, au passage, à l’endroit de ceux qui maudissent sa veine autoritaire (ainsi de cette phrase ouvrant carrément le livre : « J’étais alors, ce fut une de mes métamorphoses, caporal-chef » !).
Néanmoins, si d’un point de vue théorique, le texte n’apprend rien de particulier sur le noir (aucun lien avec le geste d’analyse profonde, historique de Pastoureau que Badiou, d’ailleurs, ne cite pas), le plaisir de lecture est incontestable. Et il l’est en particulier vers le milieu du livre où enfin, si l’on peut dire, Badiou fait ce qu’il sait faire de mieux : de la dialectique.
Là, on quitte la forme trop simple, monologique du souvenir et de l’anecdote pour en (re)venir aux balancements nuancés et subtils d’une syntaxe divisant, entre chaque début et fin de phrase, « le un en deux ». C’est vraiment dans la partie appelée « Les dialectiques du noir » que le texte acquiert tout son poids (ainsi de l’analyse qu’il fait du noir angoissant, nihiliste des drapeaux de « type fasciste » – nazis, EI, etc. – et du noir « sommaire ou brutal, mais véhément et fraternel » de l’anarchisme). C’est aussi là que ses capacités de nuance sont les plus fines lorsque par exemple, à propos de Julien Sorel, le personnage de Stendhal, il écrit qu’il « incarne (…) toutes les nuances du noir, lesquelles, on l’a dit, ne vont nullement du blanc au noir, mais du noir-noir au noir-rouge » puisque, c’est vrai, « le rouge » – à gauche, tout au moins – « est la grandeur secrète du noir ».
Et ce n’est peut-être pas un hasard si le texte trouve sa réelle intensité au moment de décrire une tension dialectique qui forme justement celle à quoi, peut-être, notre société est en train de faire face : « Noir-noir / noir-rouge »…