Paul Valéry : Cahiers 1894-1914 / Choses tues

 
par Létitia Mouze

Ces deux publications, apparemment proches puisqu’il s’agit dans les deux cas de cahiers d’idées, sont très différentes, tant par leur forme que par leur fond. Le tome XIII des Cahiers ici publié couvre la période de mars 1914 à janvier 1915, c’est-à-dire l’entrée dans la première guerre mondiale. Pour autant, les remarques historiques sur la situation présente, et, plus généralement, les remarques politiques, y sont rarissimes. Les thèmes principaux abordés, ceux de l’époque, sont essentiellement scientifiques (la sensibilité, le temps, la mémoire, le corps, le rêve, le langage, l’attention). L’approche est intellectuelle et rationnelle, voire mathématisante : les propos sont généraux et abstraits, souvent paradoxaux, avec un tour volontiers « philosophique », alors que Valéry critique par exemple « les philosophes [qui] croient qu’il y a quelque chose de bien déterminé sous le nom de temps, et [ne cherchent pas] plus avant du côté de l’existence ». Souvent, les remarques qui se succèdent forment des ensembles, presque des traités continus. Les notes, pas trop abondantes, mais à chaque fois fournies et précises, discrètement regroupées après les cahiers, sont très utiles. Les Choses tues sont un fac-simile établi à partir de l’édition originale, parue en 1930, qui comprenait un portrait de Valéry, des eaux-fortes originales et des dessins de l’auteur. Même s’il s’agit là aussi de notes, d’idées, voire d’aphorismes, l’édition dans sa forme et dans son contenu met l’accent sur l’aspect artistique, par la reproduction des dessins, qui accompagnent le texte, par la plus grande brièveté des sentences, et par leur objet (l’art, la poésie, les sentiments, l’existence). Si l’on retrouve dans ce cahier le goût du paradoxe intellectuel (« C’est la vie, et non point la mort, qui divise l’âme du corps »), le propos est nettement moins abstrait : on n’a pas l’impression d’avoir affaire à de petits traités philosophiques, mais à une œuvre d’art, qui invite à penser autant qu’à rêver.




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Cahiers 1894-1914
Tome XIII : mars 1914-janvier 1915
Gallimard
448 p., 35,00€
couverture
Choses tues
Cahier d’impressions et d’idées
Pagine d’Arte
132 p., 24,00 €
couverture