par Siegfried Plümper-Hüttenbrink
Ici, rien ne bouge. À souffle coupé, tout se tait. Le vent a replié ses voiles. Seul l’hypothèse d’une mouche se fait entendre, et dont un piège finira bien par avoir raison. Car ici n’est pas d’ici.
C’est en ces termes qui tendent à une annulation définitive, proche d’un pot au noir, que Roger Giroux tente de faire état d’un LIEU lié à un JE, et qui n’est pas sans faire songer au Lieu du Non Où que René Guénon a dû appréhender dans la mystique soufi.
1. LIEU qu’il dit : – clos, vaste, blanc.
Un lieu à l’abandon où trouver à se taire et se retraire, et qu’il lui reste à inventer.
Lieu qu’on dira de réclusion, où s’enclore tout en étant hors.
Enclos ou enclave où être de garde.
(Prioritairement réservé et préservé par et pour qui se mettra à écrire sur et sous son emprise.)
À titre provisoire, deux pans de mur et quelques poutres d’une grange inhabitée en tiendront lieu.
2. LIEU qu’il dit : – nu et nul. Nul d’être non avenu. Car nu et nul, se dénudant en lui s’annulent.
Locus mutus.
À ne pas ébruiter.
À éluder, voire à annuler
en le passant à la chaux vive.
Lieu n’ayant pas lieu d’être, et encore moins lieu d’être dit, vu qu’il ne donne lieu qu’à un non-lieu qui invalide jusqu’à son existence.
Et s’il vient toutefois à jour, il le doit à la relation quasi initiatique qu’il entretient clandestinement avec un JE qu’il prend en otage et qui n’est pas de ce monde.
3. Dans Journal d’un Poème, il est dit que JE est le lieu de l’absent : un triangle vide.
Dans Blank : – Je n’est rien, pas même un autre : je reste un mot pour faire croire à l’existence de qui n’existe pas.
Dans Lieu-Je, croqué en guise de personnage, il ne sera qu’une silhouette imprécise, jetée par mégarde sur le papier. Quelque ombre parlante et pour laquelle il ne saurait y avoir d’auteur attitré.
4. Facio ipsum locus mutus: – Je fais de moi un Lieu muet.
LIEU qui est ici alors que je n’y suis pas, vu qu’il me positionne d’emblée en HORS-JE.
(Comme si j’en étais réduit à devoir l’inhabiter en me revêtant de l’ombre portée de moi-même).
5. LIEU d’un huis-clos, et dont Roger Giroux finira par dire qu’il n’y a rien à en savoir, sinon qu’il vous dénude et vous laisse démuni.
Il est l’enclos fictif où s’enfante l’introuvable.
Et seule une parole entravée, empêchée, non-à-dire, en témoigne, et qui doit toutefois trouver impérativement à se dire en se dérobant, en résistant, et quitte à se dé-dire ou se contre-dire à tout propos.
Une parole inflammable, et qui dit parler de ne pas parler sur fond de silence. Ne laissant dans la bouche qu’un goût de cendre.
6. Il n’y a pas lieu d’en savoir plus. L’affaire est close. L’enclos est muré où s’enfante l’introuvable. Et si parole il y a, elle restera inter-dite, chiffrée et mise sous scellés. Car ici n’a pas d’ici pour se dire. Et là-bas s’avère immanquablement ailleurs. Quant à l’exil, il est toujours de nulle part. D’un lieu d’avant-naître, et qui touche à notre part d’incréé. Il suffit d’entrer en présence de sa propre absence pour s’en apercevoir. Ce à quoi Roger Giroux dut s’employer lorsqu’il avoue que son travail fut l’absence d’écrire et qui le reliait à quelque silence antérieur. Un travail effectué à fond perdu et qui l’amena à s’absenter en quelqu’un qui n’était d’ores et déjà plus personne. Quelqu’un nulle part, injoignable pour quiconque, et qui ne dit JE que pour s’éclipser en tout LIEU. En survivant de lui-même, effaçant jusqu’à sa propre existence, et pour n’en laisser apparaître que l’emplacement à tout jamais vide et qui le portera dès lors pour disparu.
40 p., 9,00€