par Siegfried Plümper-Hüttenbrink
Rarement une vie fut aussi tragique que celle de Pier Paolo Pasolini. Marquée du sceau de la malédiction, elle semble s’être jouée dans un film qu’il fut le seul à visionner. Una vita violenta, faite de bruit et de fureur, et qu’un catalogue paru dans la foulée d’une exposition1 tente de nous retracer à l’aide de toutes sortes de photographies et documents d’archives. Sa couverture, toute de noir vêtue, fait littéralement office de catafalque mortuaire pour celui qui sut se vivre à hauteur de mort et jusque dans la scène sacrificielle qui mit un terme à sa vie. Michel Chomarat (maître d’œuvre de l’exposition) n’hésite pas à voir en elle un chemin de Croix christique, jalonné de maints scandales qui ne furent pas sans contribuer à tout autant la diffamer qu’à la magnifier. Une vie de paria et que le terme latin de sacer pourrait sans doute définir au plus juste. Chez les anciens Romains il servait à indexer l’être qui avait secrètement accès au divin et dont la communauté faisait son « bouc émissaire ». Vénéré et ostracisé, était ainsi décrété sacer celui qui pouvait être mis à mort en toute impunité par la vindicte publique. Et on sait qu’avec P.P.P. la scène de tournage d’une telle exécution dut se jouer dans un terrain vague d’Ostia, par une nuit qui va de la Fête de tous les Saints à celle de tous les Morts. Aussi ne restait-il plus qu’à l’enterrer en odeur de sainteté comme s’y emploie du reste ce catalogue qui retrace iconographiquement son parcours de vie. Julien Adelaere, qui y participe en tant que photographe, s’est rendu sur les lieux qui le virent naître et mourir. De sa maison natale à Bologne jusqu’à sa tombe dans le cimetière de Casarca della Delizia où il existe une fontaine à son nom, il a non seulement pris soin de retracer les stations du Calvaire que fut sa vie, mais de pointer aussi des coïncidences plus que troublantes et qui confèrent à cette vie de réprouvé un relent quasi fatidique. À commencer par son année de naissance qui s’inaugura par la prise de pouvoir de Mussolini et sa marche prédatrice sur Rome avec 30000 miliciens fascistes. Par la suite deux assassinats eurent lieu qui le touchèrent de fort près et qui durent laisser en lui des traces indélébiles. L’un a trait à son frère Guido, résistant fusillé en 1945 par des partisans de Tito. L’autre concerne un jeune anarchiste de 15 ans du nom d’Anteo Zamboni et qui, suite à une tentative d’attentat sur la personne du Duce, fut lynché et exécuté en 1926 par un garde du corps de ce dernier et qui n’est autre que le père de Pasolini. Tous deux, figures emblématiques de l’insoumission, ne sont-ils pas dignes de figurer dans le casting d’un film qui se terminera par sa propre immolation dans la nuit du 1 au 2 novembre 1975 dans un terrain vague ? L’événement fit la une des journaux. Il avait l’attrait de ce qui saigne, expiatoirement, sur fond rouge sang. Et par une étrange ironie du sort il n’est pas sans rappeller l’implacable cruauté qui se déploie dans le dernier film qu’il venait d’achever : Saló ou les 120 journées de Sodome, librement inspiré du livre de Sade. Dans un documentaire qui filme certaines séquences de tournage, des acteurs confrontés aux atrocités qu’ils allaient commettre, disent avoir ressenti le caractère violement comique, presque farfelu des scènes qu’ils avaient interprétés. Faut-il en conclure qu’une certaine jubilation est de mise pour parvenir à soutenir le comble de l’abjection? Certains comme Genet ou Bataille, en quête d’une forme de sainteté dans le Mal, pourraient nous le confirmer. Quant à Pasolini, il dut pressentir qu’un acte est d’autant plus atroce qu’il en devient drôle. Son dernier film, qui prend des allures de cabaret, en fait la démonstration. Les tortionnaires y ont des tronches de clowns et leurs victimes font figure de simples marionnettes. Sans cette mascarade, ce côté « farces et attrapes » qui en fait presque un film burlesque, il serait insoutenable à voir.
144 p., 20,00 euros
1. L’exposition eut lieu à la bibliothèque de la Part-Dieu de Lyon du 29 mars au 10 août 2016. Outre un catalogue qui s’en inspire, les éditions Mémoire Active de Michel Chomarat ont aussi publié deux autres livres en 2015 : – PPP 69, Pier Pasolini à Lyon et Bologne, Villa Aldini, Pasolini.