Collectif Inculte : En procès

 
par Hervé Laurent

L’hypothèse est la suivante : Il serait possible de raconter l’histoire du XXe siècle à travers celle des procès qui l’ont jalonné. Sa simplicité est trompeuse. Qu’est-ce qui atteste que tel procès est un jalon plutôt que tel autre ? Tout procès n’est-il pas un symptôme de l’état d’une société, un étalon des valeurs qui la sous-tendent, un sismographe des crises qui l’agitent ? S’engageant sur la voie de l’exemplarité, le Collectif Inculte ne passe-t-il pas à côté de la dimension fondamentale de l’exercice du pouvoir judiciaire qui est, justement, de ne pas se limiter à l’exception mais de traiter l’ensemble des conduites déviantes ou jugées telles par une époque, une nation, une civilisation ?1 Procéder autrement c’est accepter une échelle des valeurs implicite basée sur un mixte de notoriété (Wilhelm Reich, O. J. Simpson, Bill Clinton…), de retentissement médiatique (Charles Manson, Christian Ranucci…) d’implication directement politique (procès staliniens, bourreaux croates, génocidaires Rwandais, internés de Guantanamo…). Et si les jalons étaient choisis autrement ? Voilà une question que n’ont pas cru devoir poser les membres du Collectif Inculte, faute de quoi leur projet paraît compromis dans sa prétention à écrire une Histoire. Pourtant ce recueil, dans ses meilleures contributions, réunit des histoires et des façons de les raconter. Deux pôles : la subjectivité affirmée comme outil critique du contexte judiciaire abordé2 et l’exercice d’un protocole purement objectif3 qui, refusant de produire aucun appendice explicatif ou argumentatif, travaille à partir du seul texte officiel du procès. Dans ces deux formes radicales, le parti-pris affirmé déploie sa puissance heuristique, dans tous les autres4 s’affiche la faiblesse d’écritures qui font l’économie de leur régime d’énonciation sous prétexte qu’elles explorent celui d’une justice peu reluisante. Deuxième erreur, et si banale, celle-là.




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Une histoire du XXe siècle
Inculte
« Dernière Marge »
256 p., 17,90 €
couverture

1. Ce qui fait, aujourd’hui encore, la force et la pertinence de Testimony de Charles Reznikoff (Témoignage, tr. fr. Marc Cholodenko, P.O.L, 2012) c’est que l’histoire des États-Unis qui s’y écrit n’est alimentée que de fragments de destins anonymes, ceux-là même que la justice américaine, au quotidien, aura cru de son devoir d’évaluer ?

2. C’est le cas pour Procès de Christian Ranucci, 9 et 10 mars 1976 de Marie Cosnay.

3. Cf., par exemple, Franck Smith, Procès d’Idelphonse Hategekimana, 1994-2010.

4. Inclassable, Procès épargné au lion Prince, 2001, le texte de Claro, se souciant d’ailleurs fort peu du XXe siècle, développe une stimulante méditation sur le rapport des hommes aux bêtes, à travers le rappel des procès intentés aux animaux jusqu’à l’aube du XVIIIe siècle.