par Ludovic Degroote
La tenue d’un livre ne dépend pas de son épaisseur ; ordinaire, de Sophie G. Lucas en offre une nouvelle preuve. 18 poèmes de dix à vingt vers composent cet ensemble dont le titre sans majuscule donne le ton : chacun décrit une scène d’apparence banale, concernant une femme désignée par le pronom « elle » ; dans chacune de ces scènes, quelque chose coince qui montre la violence sourde de cet ordinaire-là, le faisant basculer du côté de l’inacceptable. La misère matérielle, psychique ou sociale engonce chacune de ses femmes dans la solitude d’un présent dont elles semblent incapables de s’extraire. On pourrait penser à Carver. Mais chaque poème est adossé à une chanson (quasiment toutes issues du rock) qui lui donne son titre (Perfect Day de Lou Reed ou Helpless de Neil Young par exemple) et fait directement écho à la scène (Soul Kitchen [des Doors] se situe dans une cuisine), de façon à la fois adaptée et décalée, car le poème est de l’ordre du chant maigre, sans la puissance et la révolte potentielles du rock. Celles-ci s’entendent en creux, à travers l’absence de leçon ou de commentaire de la part de l’auteur, dans la brutalité du réel. La forme du poème elle-même est déboîtée par des systèmes de ruptures – dans le vers, la syntaxe ou le lexique – qui contribuent à désarticuler ce soi-disant ordinaire.
24 p., prix modique non indiqué1
1. S’adresser à l’éditeur, Yves Perrine : 215 rue Moïse Bodhuin - 02000 Laon.