par Sylvie Durbec
Les deux publications se complétant, il est intéressant de les lire en miroir l’une de l’autre. Toutes deux usent d’un ton proche de l’épopée, la voix jouant un rôle important. Si Un hymne à la paix peut être considéré comme un texte choral1 justifié par la présence de didascalies (en début et fin de volume) et de personnages (Homme, Femme, Bourreau, Justice), Climats par son sujet (le changement climatique) et sa puissance épique relève aussi de l’oralité (énonciation, discours direct, emploi de l’impératif et de l’apostrophe, entre autres). Dans les deux cas le pronom nous a toute sa place, car il s’agit d’impliquer celui qui lit / écoute : « attention au vivant partout », avertit Grisel qui pourtant n’hésite pas à dire je lors des dédicaces de Climats en citant un certain nombre de personnes à l’origine de son travail2. Les deux livres relèvent d’une écriture épique dont la singularité reste entière et renvoie aussi bien à la tradition antique (Homère, Lucrèce) qu’à la poésie didactique et scientifique d’un Sebald par exemple (After Nature). Dans les deux textes, ce qui frappe le lecteur, c’est la force poétique mise en jeu par Laurent Grisel, sa capacité d’invention mais aussi la manière d’utiliser des références précises (le savant Hansen) pour les faire entrer dans le poème et convaincre. Que ce soit par des énumérations de noms, de dates, d’injonctions, les images convoquées (les guerres dans Un hymne), la présence de l’utopie, une argumentation nourrie par une connaissance précise du sujet (l’exploitation sans merci des peuples pour obtenir le caoutchouc, le mercure, le méthane et celle de la nature), nous sommes pris dans un flux où l’histoire et l’épopée se mêlent pour donner à entendre un chant singulier. C’est cette tentative humaniste d’inscrire l’épopée dans le paysage poétique contemporain français en traitant de sujets comme le changement climatique ou les guerres nombreuses qui requiert l’attention. Il y a là une écriture. Les derniers mots de Climats sont d’espoir : « la fenêtre est ouverte / l’air est la lumière », tandis que Un hymne laisse la parole à F (femme), ouvrant le texte-fenêtre au cosmos :
… – ici et
loin : dans l’univers mêlé, tournant sur lui-même
sans fin.
Enfin, Climats achevé en 2015 est écrit sans ponctuation comme pour ouvrir encore davantage la page au souffle et laisser au futur du texte toute sa force.
1. cf. en fin de volume : « Remerciements aux troupes qui en donnent lecture. » L.G.
2. Climats, pages 7 à 10.