par Ludovic Degroote
Réunir ces trois ouvrages importants de James Sacré est un excellent choix. Les deux premiers, publiés en 1978 et 1981, devenus introuvables, permettent de mesurer à quel point l’écriture de l’auteur s’ouvre en une manière, une langue, une voix propres à son auteur, qu’on retrouvera dans Une petite fille silencieuse. Tout Sacré est déjà présent dans Figures qui bougent un peu, étonnant par la maturité de son écriture et la réflexion critique qu’elle contient, qu’il s’agisse du lyrisme, des jeux d’énonciation ou de l’organisation verbale que sont le vers et le poème ; la dimension formaliste qui pourrait en paraître un embrayeur ici ou là sera atténuée dans Quelque chose de mal raconté. Chez Sacré, pas d’écriture sans motif c’est-à-dire sans figure : un paysage, le millefeuille du temps ou des espaces, la mélancolie, la solitude, la mort de sa fille, la traversée d’une ville, un jardin, le père ou l’enfance – ces allers-retours entre le dehors et le dedans, le présent et le passé, la présence et l’absence donnent à son travail une dimension profondément humaine parce que cela s’attache au simple d’apparence, au concret, sans mièvrerie, sans grandiloquence – au lecteur de poursuivre la dimension méditative, s’il le souhaite. Autre motif central : le poème lui-même. Celui-ci devient une approche des fragments déboîtés du monde, de saisie possible de ces « figures qui bougent un peu » : si elle ne réunit pas pour donner une cohérence, la langue peut rapprocher ce que la vie traverse ou superpose. La modestie savante et immédiatement reconnaissable de l’écriture de James Sacré s’inscrit dans la possibilité même du poème : celui-ci seul est à même de fixer ces mouvements pour les coudre en un patchwork complexe1.
1. La préface d’Antoine Emaz est un outil précieux pour aborder ces trois volumes parce qu’elle arrive à se tenir dans la distance de l’ensemble et à entrer dans la matière de l’écriture.