Christophe Lamiot Enos : Viges

 
par Yves Boudier

Une entrée en cascade de citations, Stein, Cummings, Calvino et Canel puis Baudelaire, celui de « La Géante » et de « La Musique ». Chacune de ces constellations tutélaires va entrer en résonance au fil des chapitres de ce long récit en vers et prose, pour hâter le surgissement épiphanique de ces concrétions du souvenir modélisant une mémoire en aller et retour d’une adolescence qui irradie jusqu’au seuil du non encore vécu mais déjà pensé. Attentifs à l’extrême aux gestes quotidiens qui soutiennent les corps et les rendent aptes à l’amour, datés au plus précis à la fois par le code et la mention quasi protocolaire des faits et gestes d’un homme et d’une femme en vis à vis / vie à vie, les poèmes, paradoxalement plastiques et mesurés, saisissent l’ombre et la lumière de chaque tremblement du désir, l’effet des lieux sur la respiration nocturne et diurne des êtres chers en errance programmée dans l’espace d’une ville emblème, celle de Viges, réelle et / ou rêvée, traversée et attentive aux multiples circonstances que le vers révèle et déplace, de la strophe au récit, dans la spirale strictement reconstruite du temps. L’acharnement sensible du poète à la restitution revécue du passé, qui ainsi redevient présent, marque ce livre profondément attachant. Le travail de la rime, bouleversant une esthétique contemporaine qui pense avoir réglé cette question, offre une leçon de maîtrise de cet objet qui colle à l’histoire séculaire du poème, quelles que soient ses formes d’apparition ou de (feinte) disparition. Christophe Lamiot Enos ne craint pas la mise à nu du cœur et des formes. Il transcende le débat et impose une écriture d’une présence si forte que le lecteur accède au vif du poème à la fois dans la perception fulgurante d’une émotion et le plaisir de faire l’expérience des vertus de la répétition rimée des fragments les plus forts ou inversement les plus ténus, ainsi rechargés d’une puissance solipsiste lucide. Les formes se conjuguent, strophes, monostiches, tercets, quatrains, quintils et plus encore, au profit d’un passage à une prose ni poème ni récit, une prose qui choisit la majuscule quand le poème se réfugie dans l’italique. « Puis, soudainement… » le lecteur est (re)pris dans le flux de la vie et des êtres.




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Flammarion
« Poésie »
318 p., 19,00 €
couverture