par Khalid Lyamlahy
Abdellatif Laâbi a connu plusieurs vies. Né à Fès en 1942, il a dirigé la célèbre revue Souffles, milité dans la gauche des « années de plomb », connu les affres de la prison et de la torture et goûté à l’expérience de l’exil. Laâbi, ce survivant qui a su résister aux blessures du corps et de l’Histoire, revient avec deux ouvrages : L’Arbre à poèmes, une « anthologie personnelle » de la période 1992-2012, et Le Principe d’incertitude, son dernier recueil poétique.
Dans l’anthologie, le lecteur découvre ce que Françoise Ascal nomme une « parole fécondante ». Laâbi, « l’artisan fils de l’artisan » (46), sculpte dans le matériau du langage une réponse à la barbarie, une opposition à l’oubli, un refus de la soumission : « Vaincu, je ne me rends pas » (48). Dans ces poèmes de la liberté retrouvée, Laâbi lutte contre une double prison persistante : le moi intérieur, ce « cher double » avec ses « miroirs déformants » (211), et le monde extérieur, gisant « sous les décombres / de la défunte humanité » (155). À chaque étape de cette lutte ouverte, « la vie reprend le dessus » (69), élevant la poésie comme un cri, une prière, une célébration du plaisir, « une façon d’accorder les instruments de l’âme » (146) pour affronter les maux du moi et du monde.
Dans Le Principe d’incertitude, recueil composé de sept poèmes, le lecteur découvre un poète assailli par les interrogations et pressé par l’heure du bilan. Se déclarant d’emblée impuissant face à « l’énigme de l’Univers » (11), Laâbi écrit en détail sa « lassitude » (23), dénonce dans le monde « une histoire rabâchée » (49) et redit avec amertume « la fêlure en soi » (69). Entre l’angoisse et l’incertitude, le recueil dresse le portrait d’un poète qui se retire, triomphant dans la puissance de sa parole et le désir d’un havre de paix à venir. Il y a dans ce recueil comme un sentiment du travail accompli, éclairant l’œuvre et la vie passées et donnant forme à un monument poétique, un « arbre à poèmes » tenace et insoumis.
Anthologie personnelle 1992-2012
Préface de Françoise Ascal
Gallimard
« Poésie »
272 p., 8,10 €