Rainer Maria Rilke : Poèmes épars

 
par Michéa Jacobi

Stefan Zweig raconte dans Le Monde d’Hier qu’il fallait avoir vu avec quel soin Rainer Maria Rilke rangeait sa valise pour comprendre celui qu’il mettait à élaborer sa poésie. C’est à ce soin, à cette précaution infinis dans le choix de chaque mot et à ces appels incessants à une autre façon d’exprimer telle ou telle sensation qu’on se heurte sans cesse en circulant entre les poèmes épars de cette édition de poche. La traduction de Philippe Jaccottet a pourtant quelque chose de limpide et le vers qui ouvre le recueil : l’air maintenant semble porter une charge invisible paraît nous appeler à une excursion céleste. Mais non. Ce n’est pas : l’air maintenant semble porter une charge invisible, c’est l’air maintenant, parfois, semble porter, tremblante une charge invisible. Comme s’il fallait à tout moment un mot de plus, comme si l’allemand, langue des sciences et de la philosophie, voulait à tout prix rester allemand. Comme si les strophes de Rilke souffraient pour toujours de la maladie chronique de la littérature que Nietzsche diagnostiquait ainsi : être trop écrite dans une langue.
Qu’elle était claire et alerte pourtant la prose de Rilke dans la Lettre à un jeune poète ou dans Mitsou, le texte qu’il écrivit sous les images tracées à l’encre par Balthus encore enfant. Qu’elle est dense et mystérieuse ici sa poésie, entre ses arpents de nuit et ses nuées d’étoiles. « Tout sombre, tout se noie, tout vers le fond descend » jusqu’à ce qu’arrive une « liebliches zeitiges Licht, – lumière juste, adorable », que le poète boive dans le bassin d’un arbre creux et fasse monter « à sa conscience l’eau claire » et que « Gehnn sei Gesang – ce qui passe soit un chant ».

 

« Que ce qui passe chante » traduit Jaccottet, qui rend Rilke à la fluidité du français tout en préservant les précautions, les ombres et les suaves reprises du poète. Et qui nous persuade, passant du texte original – page de gauche, à ses transpositions – page de droite, que la poésie ne s’écrit finalement dans aucune langue que celle de la poésie elle-même.




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1907-1926
Choisis, traduits et présentés par Philippe Jaccottet
Édition bilingue
Points
« Poésie »
240 p., 7,90 €
couverture