par Alain Helissen
Pour Françoise Ascal, les mots constituent des éléments du corps et leurs lettres dorment quelque part dans une terminaison nerveuse ou autre endroit de l’organisme ; l’afflux de mots s’apparente à l’afflux de sang. « Mots (…) qu’attendez-vous de nous / faut-il aller vous pêcher un à un pour déchiffrer nos vies (…) valez-vous plus que le silence ? » Des voix dans l’obscur, ce sont aussi, écrit Françoise Ascal, « les voix des autres en soi » qui empêchent toute solitude vraie. « Est-ce que quelque chose est à moi ici dans ce cachot dévasté du XXIe siècle ? » Comme pour illustrer ce difficile rapport aux signes, à leur sens, Gérard Titus-Carmel a dessiné une espèce d’alphabet improbable. Il avait déjà accompagné un précédent ouvrage de Françoise Ascal, Lignées, paru en 2014 chez le même éditeur. De livre en livre, Françoise Ascal dresse sans complaisance l’étendue du manque, l’apaisement qui se dérobe sans cesse : « ... c’est mon lot je pose des mots-sutures sur ce qui souffre... » Mais sur cette terre qui voit remonter les os des morts à sa surface, qui se souvient d’eux ?
C’est ce fil de l’oubli, dont une première version fut publiée en 1998 aux éditions Calligrammes, qu’essaie de retendre Françoise Ascal, à partir de cinq cartes postales envoyées du front par Joseph à sa femme et à ses enfants restés à la ferme. Les dates se succèdent dans ce récit sans ordre chronologique. Elles évoquent ce que sont devenus celles et ceux de la ferme, après la disparition de Joseph. En 1985, une pancarte « Maison à vendre » est accrochée sur la porte d’entrée de la ferme désormais dans un état de délabrement prononcé. En fouillant un peu parmi les affaires laissées à l’abandon, on retrouve les 5 cartes postales de Joseph. Noir-racine, seconde partie de cet ouvrage avait fait l’objet elle aussi d’une première publication sous forme de livre d’artiste. Le texte se décompose en 10 brèves séquences qui décrivent la vieille, toute vêtue de ce « noir-racine qui la tient debout », clouée à la terre.
Dessins de Gérard Titus-Carmel
Æncrages & Co
« Écri(peind)re »
48 p., 21, 00 €