Adonis : Le livre III (al-Kitâb)

 
par Stéphane Baquey

Adonis a publié à Beyrouth de 1995 à 2002 les trois tomes d’al-Kitâb. S’en achève, avec ce troisième volume, la publication de la traduction française par Houria Abdelouahed au Seuil, commencée en 2007. Le titre, « le livre », est en lui-même un défi chez un poète appartenant, du moins par sa culture, à l’une des religions du Livre. Al-Kitâb constitue un aboutissement de l’œuvre tout à la fois du poète, depuis la rupture moderniste engagée avec les Chants de Mihyar le Damascène (1961), et du critique culturel, fondant sa démarche sur une remémoration de l’histoire de la poésie arabe et sur la position privilégiée de cette poésie dans l’ordre des discours. Adonis a ainsi publié une anthologie en trois tomes de la poésie arabe (1964-1968) et un essai en quatre tomes, Le Fixe et le mouvant (1974-1978)1. Al-Kitâb est un monument poétique, très fermement composé. Adoptant la fiction du manuscrit retrouvé, le poète y délègue sa parole à un poète dont l’œuvre est un sommet de l’art poétique des Arabes : al-Mutanabbî. Poète panégyriste, il était tout à la fois tributaire des souverains au service desquels il se mettait et défenseur farouche de l’autorité que lui conférait le pouvoir de son verbe. Il a vécu au Xe siècle, époque où se disloquait l’empire abbasside. La succession des tomes accompagne la vie d’al-Mutanabbî : la jeunesse à Kûfa, la ville des hérésies et des révoltes (tome 1) ; le service du prince d’Alep, Sayf ad-Dawla, ferraillant contre les Byzantins (tome 2) ; l’exil et l’errance, en passant par le service de Kafûr, esclave noir devenu gouverneur du Caire (ce tome-ci). Chaque tome est principalement structuré en sept parties, elles-mêmes formées d’autant de poèmes que comprend de lettres l’alphabet syriaque. De page en page, savamment composée, court parallèlement au poème attribué à al-Mutanabbî, une chronique fragmentaire de la violence politique durant les premiers siècles de l’Islam. En dépit de l’élan toujours recommencé de la révolte poétique, al-Kitâb est un terrible monument, se présentant comme le tombeau d’une civilisation perçue comme étant tragiquement en mal de renouvellement. Symptôme d’une histoire qui ne trouve plus sa voie dans un poème qui revendique son errance.




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Hier Le lieu Aujourd’hui
Traduit de l’arabe et postfacé par Houria Abdelouahed
Seuil
372 p., 25,00 €
couverture

1. À signaler également, en ce qui concerne l’œuvre de l’essayiste, la parution de la traduction d’un essai de 1992 : Soufisme et surréalisme, traduit par Bénédicte Letellier (La Différence, 2015). L’expérience spirituelle et poétique soufie (al-Hallâj, Niffârî, Ibn ‘Arabî) est celle en laquelle Adonis, et quelques autres avec lui, trouvent dans la tradition musulmane un point de jonction possible avec la modernité poétique, voire, plus largement, morale, occidentale. Voir également, pour interroger la position de l’intellectuel-critique en exil, face à sa culture et aux transformations actuelles du monde arabe : Violence et islam, entretiens avec Houria Abdelouahed (Seuil, 2015).