Vincent Kaufmann : Déshéritages

 
par Jérôme Duwa

Nous sommes plus que jamais sujet à cette triste passion « antiquaire », jadis dénoncée par Nietzsche. Pourtant, le véritable créateur n’est-il pas celui qui refuse d’hériter du passé ? Telle est la question soulevée par Vincent Kaufmann dans ce recueil d’essais fait pour inquiéter nos certitudes généalogiques : l’interruption en est le seul fil directeur, par principe, erratique.
Déshérité né, on ne s’étonne pas de retrouver ici en première ligne Guy Debord, auquel Vincent Kaufmann a consacré une part importante de ses travaux antérieurs. Quant au livre d’Olivier Rolin, Tigre de papier, et au film les Dreamers de Bertolucci, ils démontrent chacun que l’événement 68 demeure intransmissible, comme d’ailleurs l’insurrection situationniste elle-même. L’examen d’un génie de la trahison de l’envergure de Louis Aragon s’avère plus inattendu, puisqu’il a passé son temps à abattre, avec morgue, un jeu des appartenances des plus troubles.
Et que penser du Mallarmé qui dans sa Symphonie littéraire interroge « Maintenant qu’écrire ? » en s’adressant à un Baudelaire aphasique ? Qu’écrire, en effet, dans la conscience du néant ? Peut-être une « poésie critique » qui trouvera, malgré tout, à se prolonger en Francis Ponge. Paradoxalement, les déshérités se reconnaissent à leur profonde réflexion sur la manière de court-circuiter l’héritage littéraire. Cet arrachement n’est ni sans douleur, ni forcément absolu.




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Furor
168 p., 18,00 €
couverture