Saint-John Perse : Lettres familiales

 
par Tristan Hordé

On sait qu’un certain nombre de lettres publiées dans l’édition des œuvres complètes (Pléiade, 1972) ont été arrangées ou écrites par Saint-John Perse pour le volume ; ce n’est pas le cas de ces 45 lettres, adressées à son beau-frère, Abel Dormoy et à sa sœur, Éliane Leger (ou reçues d’eux), une seule étant destinée à un neveu, une autre à sa mère, en juin 1948, qui meurt quelques mois après ; toutes sont écrites depuis les États-Unis, avant le retour en France en 1957 et son installation à l’île de Giens, dans la villa achetée par une riche admiratrice.

Exilé depuis 1940, il n’est pas dans le besoin, mais vit dans des conditions précaires : il occupe un poste à la Bibliothèque du Congrès et reçoit une bourse de la Fondation Bollingen, ce qui ne suffit pas pour être à l’aise. Si les questions d’argent le préoccupent constamment, c’est aussi qu’il s’inquiète de la situation de ses proches à Paris, pratiquement sans ressources autres que les fonds qu’il met à leur disposition ; dans sa première lettre, il écrit : [il me faut] « trouver (...) les moyens (...) de vivre et de faire vivre les miens auprès de moi », et cette inquiétude est dite de manière récurrente dans sa correspondance, comme sont répétées par ailleurs à ses correspondants ses excuses pour ses « affreux silences ». On découvre un homme soucieux de ne pas blesser les femmes sorties de sa vie, soucieux aussi que celle qu’il épouse en 1958, Dorothy Russell, soit bien acceptée de sa famille.

Saint-John Perse a été déchu de la nationalité française par le régime de Vichy et, après la Libération, il lui faudra attendre 1946 pour que sa situation administrative soit réglée. Il sera satisfait d’être mis à la retraite, en 1951, se refusant à l’éventualité d’un poste sans responsabilité et heureux de pouvoir se consacrer à l’écriture. Par ailleurs, son retour en France est retardé dans la mesure où son statut aux États-Unis lui interdit de se déplacer comme il le souhaiterait : il veut quitter l’Amérique avec l’assurance de pouvoir y retourner, ce qui ne sera possible pour lui qu’à partir de 1950. Son éloignement de Paris ne l’empêche pas de suivre l’Argus, de signaler à ses proches une lecture de ses poèmes par Pierre Jean Jouve, de préparer pour sa sœur une liste détaillée de documents pour le livre qui lui sera consacré dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », ou de lui demander l’envoi d’articles le concernant.

L’intérêt de ces lettres, outre la qualité de leur écriture, vient du fait qu’elles dessinent un portrait de l’écrivain assez différent de la figure altière qu’il a souhaité laisser de lui.




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1944-1957
Édition établie, présentée et annotée par Claude Thébaut
Gallimard
« Les cahiers de la NRF »
224 p., 19,50 €
couverture